Création


Création (12-14 ans) 

Je l’ai rencontré au mois de juin, l’année passée suite à une mauvaise chute, monsieur Seever âgé de 80 ans avait besoin que l’on vienne s’occuper de lui. Je suis donc devenu son infirmier personnel.

Ce dimanche vers sept heures du matin,j‘entre dans une maison au style typiquement alsacien,des poutres apparentes, une façade rouge, une grande cour pavée en grès rose. A l’intérieur, l’étroitesse des pièces ainsi que les plafonds bas donnent aux meubles en chêne un aspect imposant.

Il y règne un silence particulier. La chambre de mon patient est à l’étage, je trouve la porte entrouverte,  je vois mon patient assit sur son lit en pyjama. 

Bonjour monsieur Seever! C’est Franck! Je peux entrer ? Vous n’avez pas l’air en forme aujourd’hui! Vous n’avez pas bien dormi ? 

Il lève son regard alors que je pose ma mallette aux pieds du lit. Il me fait signe de m’asseoir à ses côtés :

—Franck! Vous ai-je dit que j’étais autrefois responsable de la bibliothèque municipale? Tous les mercredis, j’assurais la lecture de contes de 14 heures à 16 heures aux enfants du village. 

Oui, vous me l’avez dit ! Qu’est-ce qui se passe ?

—Je vais vous le dire. J’espère que vous ne me prendrez pas pour un fou !

Il reprit son monologue avec cette voix grave, envoûtante. 

— J’ai fait cela pendant quarante ans. Mais depuis que je suis à la retraite, toutes ces histoires ne me quittent plus. Elles sont tout le temps là ! 

Monsieur Seever! J’ai du mal à vous suivre. 

—Franck, tous les contes que j’ai lus sont dans la maison! Ils sortent de ma tête pour se matérialiser ici! Je vais simplement penser au conte du chat botté, vous verrez ! 

Il se concentra, lorsque la lumière du couloir s’assombrit un court instant, je me levais instinctivementj’ouvris la porte. Au bout du couloir se tenait un chat, avec des bottes hautes et un chapeau. J’interpellais monsieur Seever : 

Monsieur Seever! Il y a le chat botté dans le couloir ! Comment est-ce possible? 

Il ouvrit les yeux, le chat s’effaça dans une vapeur grise. 

—Monsieur Seever? Permettez que je m’asseye !

Allez-y Franck ! Respirez! Vous comprenez maintenant ? 

Oui! Si j’osais, je vous demanderais de faire apparaître Blanche Neige et les sept nains ! 

Je me mis à rire sans pouvoir m’arrêter.. 

— Franck! J’ai fait comme vous la première fois que cela est arrivé! J’ai ri longtemps puis je me suis amusé à les faire apparaître. Maintenant dès que je pense à un conte, il se matérialise!

Je ne vois ce que je peux faire monsieur Seever? Cela est tellement surnaturel!  Qu’est-ce que c’est ? 

Je me reculais sur le lit. Devant la porte, une vieille femme tenant une pomme rouge avec des yeux maléfiques nous observait alors qu’un groupe d’oies frôlait le plafond.  Je secouais monsieur Seever. 

Il ouvrit les yeux, les personnages s’envolèrent dans une volute grise. 

Vous voyez ce qui se passe lorsque je pense à deux contes en même temps? Ils se mélangent et s’ils restent trop longtemps, ils se font la guerre!

—La guerre ? 

—Oui, si un dragon rencontre une grenouille, il a envie de la dévorer. Idem pour un corbeau qui aperçoit une fourmi.  Surtout lorsque dans mon esprit tous les contes se mélangent. C’est une révolution toute la nuit.  En attendant, veuillez m’aider à m’habiller! Peut-être que l’occupation me privera de ces fantasmagories? 

Alors que je m’affairais sur le nœud de sa cravate noire, il me demanda de lui chercher dans le bureau voisin, une feuille ainsi qu’un stylo. Je m’exécutais lorsque la porte de la cuisine claqua me faisant sursauter. 

Ce n’est rien Franck! Je crois que E.T. est parti se cacher dans le placard à balais!  
Oh! Ca marche aussi avec les films ? 

—Bien sûr! Les films, certains sont comme des contes!  Ils partent toujours d’une écriture dans un deuxième temps avant de se matérialiser en image! N’est-ce pas? 

Oui! Vous me dites le deuxième temps, mais le premier temps correspond à quoi ? 

Cherchez-moi d’abord de quoi écrire, mon cher Franck ! 

Je m’exécutais revenant auprès de mon patient lui tendant les affaires demandées, il reprit :

Je dois vous faire une révélation avant que vous ne me quittiez ! Connaissez-vous la finalité d’un conteur, Franc ? 

Non! Enfin, je suppose! C’est celle d’emmener son auditoire aussi loin que l’histoire ne l’emmène ! 

Exact! Reprenons! Il y a l’écrivain, le lecteur, le conteur, l’auditoire, et derrière tout ceci! Qui a-t-il ? 

L’imaginaire! Monsieur Seever ! 

Nous y sommes! L’imaginaire. Endroit inconnu, improbable avec des personnages aussi particuliers que les connexions du cerveau! N’est-ce pas ? 

Monsieur Seever alla s’asseoir à sa petite table de travail. Il se pencha pour écrire. J’osais une question : 

Monsieur Seever! Puis-je vous demander ce que vous écrivez ? 

Au rez-de-chaussée, j’entendis clairement un bruit de vaisselle qui se casse. Je voulus me lever sans y parvenir. Je sentais quelque chose m’échapper. Il se racla la gorge puis se leva et se posta devant moi. Avec sa feuille en main, il dit : 

Donc! Mon cher Franck! Nous n’avons pas terminé notre digression sur la finalité d’un conteur ! 

Les yeux écarquillés, je l’écoutais attentivement : 

Quarante ans d’histoires que le conteur au travers de sa voix rend réelles. Là! Est la magie!
Vous allez immédiatement saisir l’astuce de votre venue. Depuis des années, je m’envole dans toutes mes lectures, les rendant si réelles qu’elles m’empêchent de dormir alors il m’est venu une idée simple pour me sortir de cet état. Quelle est pour vous, la finalité du conteur ?

Monsieur Seever! Je ne sais pas ! 

Mais enfin! La finalité d’un conteur est de créer son conte! C’est logique! non? Mon cher infirmier! Il y a imaginer, lire et écrire! Il ne me manquait plus que l’écriture! Pour devenir un conteur qui ne conte plus, mais qui crée un conte! Il manquait l’écriture! CQFD ! 

Fantastique! Monsieur Seever! Si j’entends bien, vous avez écrit un conte! Vous pensez que cela suffira à vous aider ? 

Je me sentais mal, voulant me lever, je me rendis compte qu’une de mes jambes avait disparu alors que monsieur Seever raturait une ligne sur sa feuille puis réécrivait, je l’interpellais : 

Monsieur Seever! Je crois que j’ai un problème ! 

Oui je sais Franck! Il est là le problème! C’est la construction des personnages, le plus compliqué ! 

Il se leva, la feuille en main, pesta avec irritation, maugréant que ce n’était pas bon, qu’il devait tout recommencer. Il prit la feuille, la froisse avec rage, alors que je disparaissais dans une vapeur grise. 

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