En attendant


En attendant

Un jour sans savoir pourquoi exactement, je n’ai plus pu me lever, ou bien je n’en avais plus envie. La lassitude de mon âge certainement !

Maintenant, que je suis allongée pour de bon, le temps est devenu tellement secondaire que le tic-tac de l’horloge m’indiffère.

Pourquoi suis-je condamnée à regarder ces murs blancs qui m’irritent la cornée ? Déjà, que je n’y vois plus ! La lumière vive me fait l’effet d’aiguilles dans les yeux.

On essaye bien de me lever dans ce fauteuil que l’on dit « confort ». Quel confort ? Tout mon corps est raide, tordu comme un bois mort. La moindre préhension sur les avant-bras me provoque des hématomes. Mon Dieu ! que je suis souffrance à l’extérieur comme à l’intérieur !

Assise pendant une heure, deux heures ou bien cinq minutes, l’effet est le même ! Mon escarre me rappelle qu’il y a un trou béant dans mon coccyx. Je souffre chaque jour plus, jamais moins !

Je regarde le jour se lever. Je sens le temps passer, puis la pénombre se fait. Je me dis que les volets fermés m’empêchent de trouver l’étoile qui m’emmènera au-delà . Je n’attends que cela !

Dans mon lit, je patiente sans impatience. Mais je redoute ce moment que je ne peux choisir. Celui d’un soin. La toilette et son courant d’air. Ce savon qui pique ma peau toute sèche et augmente la cruauté de mon inconfort cutané. Je ne peux plus me gratter et lorsque j’y parviens quand même, je le fais si maladroitement que je saigne. Le temps de mettre de la crème n’est pas compris dans le temps de la toilette : m’ont-elles dit.

Lorsque l’on me tourne, je sens ma colonne vertébrale se figer sur ses points d’arthrose. Les vertèbres du bas jusqu’en haut frottent comme des cailloux hargneux. Dieu, que ça fait mal !

Comme je ne peux plus trop parler, je hurle ma douleur. Les yeux des soignants m’étreignent bien de leurs douceurs, mais je vois aussi qu’ils n’ont pas plus le choix que moi ! Les jambes remplies de flotte pèsent trois tonnes. Mes mollets suintent. L’eau vient de mon corps. Tout fout le camp, sans berge à laquelle se retenir !

Souvent, après de longues heures éveillées, je ne sais même plus si mon corps est, tellement j’ai la sensation d’être devenue le matelas. Oh ! j’ai un matelas à air, mais à part faire des vagues avec l’air qui circule dans les différents boudins. C’est salutaire, quelques secondes à peine!

Le pire, c’est lorsque ma langue se craquelle sous le manque d’humidité. Toute la bouche fait mal. Dieu ! que c’est douloureux ! Le repas devient une torture par excellence. Du chaud et du salé, sur une langue déjà cramée et c’est l’enfer dans la bouche. Je recrache les aliments qui réveillent cette douleur là. Que pourrais-je faire d’autre pour ne plus souffrir ?

Il faut pourtant manger. Mais à quoi bon ? Impotent de corps et d’esprit ! j’attends patiemment dans ma souffrance, heureusement, ces petites boissons protéinées sont agréables, mais bien fraîches, sinon, elles ont un goût de farine. Mon parfum préféré : fruit des bois qui me rappelle les cueillettes de ma jeunesse le long des cours d’eau, où foisonnaient des baies aussi rouges que ma langue.

Je suis triste dans ma douleur. J’ai bien des traitements pour me soulager. Un patch qui me fait voyager dans une espèce de bulle, le premier jour, ou le dosage est augmenté. Mais, il n’empêche pas la douleur d’attendre ainsi le point final !

Les traitements sont broyés, mis dans un minimum d’eau. Ce qui ne m’empêche pas de faire des fausses routes. Troubles de la déglutition! Le repas est identique à une bouillie. Le petit-déjeuner, c’est un bol avec une poudre pour bébé. Au moins, je peux avaler, mais ce n’est pas bon! je rêve encore d’un bon café avec une tartine tout juste sortie du four avec le beurre qui fond sous la chaleur du pain. Mais cela, je ne peux plus. Je risquerai de m’étouffer. Si je pouvais parler, je dirai :« et alors, rien d’autre ne m’attend à part la mort ! »

Personne, n’est éternelle.  Je prie Dieu et je lui demande de venir me chercher. Je ne suis pas impatiente. Juste lasse, d’être ainsi posée, tributaire de chaque chose que je ne peux même plus demander. Si j’ai froid, j’attends! si j’ai soif, j’attends! pour tous, j’attends! je ne peux plus sonner. J’essaye bien de crier, mais même ma voix est lasse!

Alors pour passer ce temps qui ressemble à une éternité de supplicié, je me remémore ma jeunesse. La liberté de ma jeunesse, l’innocence de ma jeunesse. Mais aujourd’hui, je ne suis plus cette jeune fille qui courait dans les près, cherchait le lait avec son pot, aimait la vie comme un aimant, jouait, rêvait.  La réalité nous rattrape toujours à ce qu’il paraît: C’est vrai !

J’ai bien vécu, des enfants, de l’amour, du travail. Toujours debout de l’aube au coucher du soleil. Tenant la maison en ordre. Travaillant, faisant grandir tout ce qu’il y avait de bon, en moi. Que me reste-t-il, aujourd’hui, à part un corps douloureux et incapable? un cerveau plein de vieilles choses qui ne lui servent plus. Une voix absente! Combien de temps encore avant que ce cœur rempli d’amour cesse de fonctionner ?

Je sens bien parfois, lorsque l’on me tourne, qu’il s’affole. Mais, il se ressaisit plus vite que moi dans ma douleur corporelle. Comment lui faire entendre qu’il peut ralentir jusqu’à s’arrêter ?

Je suis déjà au bord du chemin. Il n’y a que lui qui me tienne, pour que je comprenne bien ma raison de vie. Celle de la souffrance d’un corps qui n’est que douleur.

La nuit dans ma pénombre, le sommeil lattant, saisissant le moindre bruit, la moindre variation d’air. Je contemple parfois dans ma rêverie les yeux ouverts, le plafond et ses ombres. Quand une soignante vient me latéraliser, encore ! je suis obligée de souffrir même dans mes nuits. Mon corps n’est que raideur. Après leur passage, il faut un temps très long pour que mes sensations désagréables se calment. Je ne suis que douleur. C’est une obligation! : m’ont-elles dit.

Parfois, mes enfants viennent me rendre visite. Mais que peuvent-ils voir à part un corps usé, souffrant ? Dans leur regard, je vois bien qu’ils ne peuvent pas plus que moi, allongée tordue et douloureuse. Eux aussi, doivent avoir le souvenir de leur maman vaillante. J’espère les avoir bien élevés pour que jamais ils ne flanchent devant la difficulté de la vie !

Je voudrais leur dire de venir plus souvent, mais ma voix n’est plus. La peur de me faire mal, les empêche de me toucher. Alors, que j’aimerais tant sentir encore la chaleur d’une main sereine de vie. Le seul contact est celui des soignants. Ça aussi, c’est une douleur ! je pourrai crier : que la vieillesse n’est pas contagieuse. Que je ne suis pas un soin, mais un être humain !

Il n’y a que mon regard, qui puisse encore exprimer mes sentiments. Mais quand me vient l’envie de pleurer, la larme au coin de l’œil reste figée d’une manière idiote sur le bord de la paupière.

Je voudrai leur dire, d’arrêter de me soigner, mais je ne peux!  Je voudrais hurler « foutez-moi la paix ! », mais rien ne se dispose à l’entendre cela. Alors, j’attends! avec mon corps douloureux, ma voix éteinte, mon cœur battant, j’attends !

Si demain, je venais à m’éteindre, je ne souhaite qu’une chose : Sentir une dernière fois la chaleur d’un être humain! sinon pourquoi la vie aurait-elle un sens ?

C’est vrai, dans mes murs blancs, mourir seule dans un corps douloureux serait un non-respect de mon humanité de vie. J’ai beau être vieille, une dernière fois sentir la chaleur d’un être humain comme un retour d’une vie construite avec la chaleur de mon cœur.

Dites-moi qu’à mon grand âge, mourir seule n’est pas un destin. Dites-moi qu’à mon grand âge, mourir seule n’est pas mon destin !

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