Je vais vous conter l’histoire d’un chat, bien malheureux puisque c’est un chat fantôme !
Sur le trottoir, il trottine, cherche. Une bourrasque de vent, venant d’une ruelle perpendiculaire, le chasse sur la route. La voiture ne le voit pas, et l’enroule sur son pneu, chassant sa matière dans la moulure de ses rainures. Le bord de corps ou d’âme emballant le caoutchouc puis les roues arrières achèvent le chemin de l’automobile, sans douleur pour le chat.
Il reprend son chemin préférant le trottoir, car le souvenir du risque réel est encore dans l’empreinte de sa mémoire.Il n’y a que la matière qu’il rencontre qui le formate à un souhait involontaire. C’est que ce chat incolore donc, cherche le moyen de réapparaître sous quelque forme que ce soit, sans savoir comment faire.
Alors, il erre depuis fort longtemps, mais surtout il cogite. Il pourrait voltiger au-dessus du gris de bitume, mais les habitudes sont tenaces et la mémoire génétique, lui dit “que c’est comme cela qu’un chat marche, à quatre pattes, sans voler! Il n’est pas Alladin.
Mais pourquoi veut-il reprendre une apparence de matière vivante ?
C’est que, Dieu, là au-dessus du vol des oiseaux et des nuages, l’a oublié. Pas exactement! mais reprenons l’histoire depuis son début.
C’est un chat à poils. Non, sans poils! avec un nom de chien. Rex.
Une de ces races qui laisse perplexe, lorsque l’on regarde la manipulation génétique qu’il faut pour dépareiller un chat de toute sa pelure archaïque.
Un vendredi semble-t-il, en allant chez le vétérinaire, l’accident. Dans sa cage de transport posée sur le siège arrière, point d’attache réglementaire.
Lors du choc, tout a été projeté à l’avant. Et plus loin encore. Le temps qu’il reprenne ses esprits, le chat devenu frites de matière à cause de la porte de celle-ci, ouvrit le cristal de ses yeux sur la blancheur du paradis.
Son maître le tenait au bout de sa laisse. La culpabilité partagée, le maître par son imprudence, le chat par son poids. Il savait que la cage de transport avait été fatale à son maître et accessoirement ce jour-là, à son chauffeur privé. “Quelle ironie de vie !”
Donc, là en haut, sur un nuage de sérénité, il se tenait au bout de la laisse et de la main devant une porte intemporelle. Le judas s’assombrit lorsque Gabriel un ange ailé leur ouvrit.
Ils n’étaient pas les premiers, loin d’être les derniers au vu de la file derrière eux. Son maître s’excusa de sa bévue, et tout en le regardant, navré forcément, formula une phrase d’un autre temps, le mea ,maxi culpa de vie et d’au-delà au maître de la porte…
Pour un chat, les mots humains sont une expression venue de la planète souris et du caviar de poisson sans écailles. Son maître grand guignol, long et fin comme un Haricot extra, franchit le pas de porte mais le chat surpris par la luminosité plissa les yeux et recula.
Déjà la porte se referma sur la longe, la coupant aussi nette qu’un couteau à steak sectionne un pavé de bœuf.
Et voilà comment le chat fut condamné à errer sur terre! Parce que sur le nuage, pas de portance.
Il atterrit dans cette ville inconnue, froide et grise à la recherche d’une matérialité de naissance. Ce jour est sombre et pluvieux, des éclaboussures d’eau salie touchent son âme, et à force marque une empreinte boueuse sur son âme.
Il comprend que la solution est peut-être dans cette matière. Mais dans la ville, la terre est rare, la poussière et la pollution, oui, mais il lui faut plus de consistances pour créer une enveloppe corporelle.
Il se souvient d’une terre plus lointaine, qui n’est que brune matière. Il doit pour la trouver, sortir de la ville. Le chat fantôme court aussi vite qu’il peut. Secrètement, il espère retrouver un foyer où il pourra se lover et vivre son existence même éphémère. Voilà, la plaine. Quelques monts se dessinent, des champs à perte de vue. De la boue épaisse et consistante. Il se jette et se roule dans une mare.
C’est qu’il pleut depuis trois jours. Il s’entoure dans cette matière, se recrée petit à petit. Il sort, regarde une patte puis l’autre, la terre redessine son corps. Voilà le chat fantôme en terre meuble brune et lourde.
Il retourne en ville, affamé. Il cherche dans une poubelle un reliquat de repas. Après s’être rassasié même s’il n’en a pas besoin. “Entendez que l’instinct prime sur l’âme!”. Il reprend son chemin. Les passants qui le croisent font un pas de côté, plus affolés par l’apparence de ce pouilleux sur pattes qui ne ressemble qu’à un paria.
En passant devant une baie vitrée, le chat se rend compte que la boue coule sous l’effet de la pluie qui le lave. L’effet est de courte durée, lorsqu’un véhicule pressé roule dans une flaque et l’arrose abondamment. Il n’y a plus qu’une mare de boue à ses pieds.
A nouveau, il se retrouve en voile invisible. Mais oui, il le sait, la matière doit être plus sure pour rester et le recréer.
Soudainement, il passe devant un grand camion qui ressemble à un gros tonneau qui tourne sur lui même. Une matière grise en sort alors que des ouvriers la lisse avec de grandes raclettes. Il observe, s’approche et d’un bout de coussinet touche la matière.
Elle est lourde. “Cela pourrait-il convenir ? Il contourne les ouvriers, et dans un tas, pas encore aplani, se glisse. Il ressort dans une fourrure grise qui a empli toute sa volatilité.
Il est heureux, content de sa trouvaille, alors il décide de s’asseoir sur le bout d’un mur qui entoure la place de la fontaine de ce lieu.
Posté comme un observateur, il regarde autour de lui, assis, avec une certaine nonchalance. Il cherche une âme charitable qui l’emmenerai au chaud. “Un humain en sommes!”
Il fait les yeux doux aux enfants qui passent devant lui, jusqu’à qu’il sente une raideur particulière au niveau du cou. Il se dit qu’il a dû se refroidir au temps de novembre et qu’un torticolis l’empêche.
Pour trouver l’âme vivante qui emmènera son âme errante, il lui faut quémander. Il veut redescendre de son piédestal, il n’y parvient pas.
Ledit chat fantôme est bloqué dans sa position assise. Réfléchissant à cette nouvelle mésaventure, il pense: « je suis bétonné, condamné à asseoir ma vision sur cette place, même mon âme ne peut plus voyager ».
Il n’y a que ses yeux qui perçoivent la vie extérieure.
Mais rassurez-vous, le chat est naturellement patient. Dans la posture de statue désormais obligatoire, son âme attendra la fêlure du temps pour reprendre son chemin.
Pensez-y! lorsque vous croiserez une statue chat qui vous regarde. L’âme d’un chat fantôme vit à l’intérieur!
Signé: Le chat érudit
D’après une idée originale de Béatrice Vandevenne