Goguenard

Un galvanotype pour caractériser un homme.
Bourru, peut-être fermier alors que sur mes rides aux coins des yeux, si tu sais y lire,
tu verras toute la malice qui a fait de ma vie, un chemin si peu certain au départ, que
je ne peux être que goguenard de vous avoir laisser croire que je n’étais d’apparence
qu’un paysan.

Ma pipe éteinte pour ne pas froisser la pellicule, comme dans la vie. Les volutes de
fumée absentes resteront l’énigme de ce que ma pensée tait.
Mes lèvres fines pourtant supposent la délicatesse de mon expression, et l’arc de mes
sourcils tend à croiser le fer avec la réalité, la vôtre ou la mienne, de ce que vous avez
bien voulu lire en dehors de mes traits.
L’apparence, les traits d’un visage, peuvent-ils réellement approfondir votre
connaissance de l’autre ? De mon entièreté ?

Je me joue de vos certitudes ainsi posées. Vous laissant croire avec délectation ma
naïveté apparente. Si, mes traits sont ironiques et taquins, c’est que je montre sur
mon évolution quelque peu joyeuse, ma capacité à vous mener par le bout du nez.
Un portrait en image, mes pensées en mots et je bourre ma pipe. Il me vient une idée
soudaine d’un vieux qui a l’air, sans l’être pourtant. Tout dépend sa sensibilité. La
mienne est tout entière sur ce portrait.

Un pastel en noir et blanc de mes contours personnels qui ironisent en accentuant
volontiers mes rides de lion, vous fournir un début d’explication à mon vécu qui ne
peut se lisser, mais uniquement se photographier.

Je suis goguenard, car j’ai assez vécu et partagé pour me le permettre. Les
physionomistes prétendent avec force que le grand front est signe d’intelligence,
mais chez un homme, la calvitie aide à cet état. La mienne a libéré mes pensées, en
premier.
Le sérieux rieur de ce portrait me convient. C’est ma peau sur ce négatif. Les
contours de pensées en rides. La maîtrise de mon âge derrière une demeure en
vieilles pierres. J’ai traversé un siècle de tourments et j’en ai encore une saveur
sucrée et douce en mémoire pour demain.
Jean Giono.