Cœur d’humanité


Mes rhizomes dans la terre, un léger vent bascule mon épine. Je ne sais même pas de quelle espèce, je suis ! Juste là au-dessus, mon cœur d’humanité m’appelle. Mes voisins vibrent sous les lames d’air qui se répercutent au cœur de leur tronc. La veille, la pluie a arrosé le sol. La mousse me tient à l’abri du grand froid, mais dans ma sève, quelque chose manque. Mes racines sont trop centrées vers les profondeurs, les voisins s’étalent. Je ne sais pas comment ils font. Ils laissent courir au plus loin quasiment à la surface leurs rameaux d’espoir.

Un chêne bien large est à mes côtés. Lui est impassible, structuré comme un mur sans temps. Indestructible, semble-t-il ! Je m’affole, je perds des branches, pourtant c’est dans l’ordre des choses. Les rameaux s’écrasent au sol. Ma sève n’arrive pas à colmater la béance. C’est une perte inutile de vie originelle.

Le chêne me dit : « Que le temps arrange seul les blessures. Qu’il est plus aisé de laisser faire ! » Quel âge a-t-il ? Cent ans, plus assurément !

L’aiguille des jours fait son œuvre. Il faut que je raisonne ma colle de laisser le souffle d’air l’assécher. Mes feuilles s’en vont, en bruissant une chanson d’au revoir qui fait « fruifruifrui ». Il faut que je cherche une tourbe nourricière plus loin de ma plantation.

Le chêne me conte : « Que même si un champignon s’accroche à ma matière, cette source pourra me servir dans la rudesse d’un futur hiver ! » Il est majestueux à côté de moi, j’envie son assurance.

Je croise un bouleau dont l’écorce blanche m’attire. Il est plus frêle de circonférence. Je m’étonne de l’aspect parfait de sa structure. Il dégage une amertume qui ne correspond en rien à sa régularité. Je m’éloigne. Non, je fuis ! Je me sens mal proche de lui.

Je sens ma sève remonter plus haut. Déjà une branche se fissure. Crac, je ne peux que la laisser tomber. Le mal est fait !

Une souche rongée par les termites s’effondre sur elle-même. Je la contourne. Dieu ! que j’ai de la peine pour elle ! Ses racines putréfiées dans un amas de sciure fine digéré par une terre lourde, humide. L’air est doux et frais en même temps. Un contraste qui crispe mon tronc suivant sa direction.

Un érable rouge du Japon qui se pare de nouvelles feuilles dans une teinte pastel m’arrête et me demande « où je vais !

– Bonne question, là, où je pourrai me ressourcer en profondeur !

Il me répond avec indolence :

La terre ne te suffit pas ?

– Comment la tourbe terrienne pourrait-elle suffire alors que je suis dépouillé en hauteur ? Je suis si frêle que je ne peux m’arranger avec vous afin que vous me laissiez entrevoir un bout de ciel. Si dense, si ample, si fourni, que je n’ai que l’ombre en point de mire !

– Ta recherche risque d’être longue. Un conseil. Si tu n’as pas de force pour avancer, il te faudrait te joindre à un de mes rhizomes. Il te mènera plus loin. Je sais où trouver ce qu’il te manque !

– Je suis sceptique, comment pourrais-tu creuser pour deux sans t’épuiser ?

– Parce que tu es force tout comme moi. On ne va pas additionner nos capacités, on va les multiplier !

– Je ne sais pas, j’ai toujours avancé avec ma propre énergie. Et, sans te vexer, j’ai besoin de me prouver que je peux seul !

– Depuis combien de temps cherches-tu ?

– Je n’ai pas compté, longtemps avec certitude !

– Et tu t’étonnes d’être épuisé, allons donc ! La raison naturelle est une quête d’alliance, même si, elles peuvent paraître improbables. Voilà la raison de la force. L’alliance ! Je te propose et tu déclines. Tu cherches et tu t’épuises. Je te sens frissonner d’angoisses. Ta sève, elle est trop en hauteur. Tu te refroidis par le sol, même, si l’énergie que tu mets à trouver te fait croire que de chaleur, tu as encore. Tes branches inutiles tomberont, les feuilles s’envoleront. Le vent prochain t’emportera, si, tu ne choisis pas d’autres connexions que tes propres ressources.

– Il peut, je m’en fiche ! J’ai déjà donné cette confiance jusqu’à l’étranglement et l’assèchement de soiffards qui n’ont qu’eu pour égard que de me laisser plus démuni qu’auparavant !

– Un, ne fait pas la généralité. Regarde les oiseaux faire leurs nids avec minutie. Te gêne-t-il ? Non ! parce que tu sais que tu en as besoin. Ils empêchent que trop de termites t’agressent. Que trop de fourmis mangent tes jeunes bourgeons. Eux, ils ont besoin de tes socles et de tes brindilles. Ce n’est pas une alliance, ça ! Alors, tu crois avancer seul, mais tu ne l’es jamais ! maintenant, que tu as saisi ce terme, ton enracinement doit revenir à sa cohérence, qu’il trouve des connexions plus profondes, multiples !

Il m’ordonne de le suivre, sans broncher. J’acquiesce sans connaître le fond de sa quête. La mienne, je la connais. L’énergie, une respiration, un souffle d’air, une expiration, une vie en essence de possibilités. Ma sève ignorante de la source de son code génétique me gêne. Lui a une force naturelle qui transpire dans la clarté du reflet ocre de ses feuilles. Paradoxalement au-delà de son assurance, une pointe d’ouverture à une ampleur inconnue, lui assure une stabilité rassurante. Il émane une résilience palpitante par tranches de deux heures. En humanité de cœur qui pulse dans ses veines de feuille jusqu’à ses racines. L’érable du Japon fait avancer deux rhizomes emmêlés. La terre s’efface dans un léger sillon qui me permet de suivre leur trace.

Au bout de trente jours, je perçois que le voyage est plus aisé. Nous traversons une clairière, où l’herbe est grasse. Des graines s’accrochent à nos rameaux et se sèment. Nous croisons d’autres arbres qui cheminent sans rien laisser voir de leur force intérieure, mais elle se ressent.

Un saule pleureur lâche tous ses rameaux en pluie suspendue à un temps qui m’échappe. Il m’explique simplement que cette posture lui permet de laisser passer le temps, sans avoir trop besoin de résister aux éléments naturels. Il a fait un bout de chemin avec nous.

Un autre mois a passé.

Soudain, une roche nous empêche de progresser. L’érable longe cette matière impénétrable avec un calme imperturbable. Je me sens coincé. Je lui demande : “de changer d’itinéraire ! ”

– Ah ! non. Ce n’est qu’une nature différente, rien de plus. Nous pouvons aisément la longer et voir où elle mène ! Au pire, on laissera quelques racines, juste pour voir ce que la nature en fera ! Tu es loin de ton tronc, maintenant, et tu n’es plus en piteux état. Même pour moi, c’est vivifiant. Il y a un truc génial, dans l’addition, c’est qu’elle est multiplication sans sommes.

– Oui, en effet, je sens qu’au loin, mes secondaires se gorgent de leur nécessaire vital. En me concentrant sur le corps de mon origine, une douce chaleur chauffe mes feuilles hautes. L’éclat du soleil m’atteint enfin ! Mais nous sommes quand même sur un linéaire archaïque, infranchissable. L’érable stoppe son chemin, je fais de même.

Soudain, il me demande de me retourner. C’est alors que je comprends l’ampleur de mon essence. De fines pousses d’érable et de sapin émergent, laissant le jour éclairer la terre fissurée. Les embryons de souches grandissent et s’étalent pour border cette montagne de futurs arbres rouges et verts, différents, uniques, alliés sur une même destinée !

Les arbres de la forêt sont cœur d’humanité.

Un lien rien que pour vous ! En-dessous… Ce texte est écrit à partir de l’idée d’ Agnès Perelmuter.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :