Maaammann !!!
Je me lève d’un bond, aussi affolée que le hurlement de mon petit garçon. Je cours jusqu’à sa chambre. Noé est assis sur son lit, il fixe le mur opposé tout en criant :
– Qu’est-ce qu’il se passe, Noé ?
– Maman, des yeux, verts jaune me regarde, là !
Je fixe l’endroit qu’il pointe avec son index. Je ne vois rien ! J’enlace Noé, afin de calmer le flot de larmes qui roule sur ses joues. Depuis plusieurs nuits, il est pris de terreur nocturne que rien ne rassure, à part le fait de sentir ma présence.
– Il n’y a rien, Noé, c’est un cauchemar !
– Si, les yeux me regardent dormir, ils bougent !
– Bon viens avec moi, on va dormir ensemble, comme ça, pas de mauvais rêves. Maman a aussi besoin de se reposer, elle travaille demain !
J’installe le petit dans ma chambre et je m’allonge à ses côtés. Je caresse ses cheveux de blé bouclés, scrute ses yeux qui se ferment et j’attends l’instant de son endormissement pour poser ma tête sur l’oreiller.
À sept heures, c’est le branle-bas de combat. J’extirpe Noé de la couette, l’habille aussi vite que possible. Le réveil a sonné à six heures trente, mais je l’ai éteint. Je suis en retard, pour tout. Le boulot, conduire le gamin chez la nourrice. Je prendrai encore les remarques de mes collègues, voire du responsable de rayon qui aura déjà fait l’inspection de la mise en place du rayon charcuterie.
Noé déposé chez la nurse avant l’école. Je badge à l’entrée prévue pour les employés de cet hypermarché. J’enfile la tenue obligatoire, et passe derrière le comptoir. Noémie, ma collègue est en train d’achalander le présentoir de mortadelle. Elle me regarde du coin de l’œil tout en me rejoignant :
– Dis, tu es à la bourre !
– Je sais, mais enfin, mon fils a encore fait des siennes cette nuit !
– Oh, les enfants ! Le chef est déjà passé, je lui ai dit que tu étais dans la chambre froide, à charge de revanche, ma belle !
– Ce que tu veux Noémie, merci ! Tu préfères un dîner ou un dessert ?
– Les deux, comme ça, tu es couverte pour la prochaine fois !
La journée passe, les clients restent assis sur l’étale de barbaque exprimant leur choix dans une indécision pénible. Il n’y a que les femmes accompagnées de leur conjoint qui assument leur choix. Les célibataires et jeunes mariés ne savent que dire :« je ne sais que choisir ! »
Je devais être pareille lorsque je faisais les courses avec Marc. Je chasse cette pensée, elle est trop ancienne pour que je m’en alourdisse.
En rentrant, je sais que je peux me poser deux heures avant de récupérer Noé à l’école maternelle Jacques Prévert au centre de Haguenau. Mais ce n’est qu’une heure trente dont je dispose pour ranger, faire la lessive, préparer le goûter et si je me débrouille bien, peut-être le repas du soir.
Mon regard est attiré par la porte entre ouverte de mon fils. Il me semblait l’avoir fermée en partant ce matin. Le lit est défait, les jouets jonchent la moquette bleu nuit. Je les ramassent avant de trébucher dessus comme la veille. Je touche l’endroit que Noé a indiqué la nuit dernière. Le mur est froid en crépi jaune. » Non, il n’y a rien qui puisse ressembler à des yeux ! En fixant longuement, peut-être. Qu’est-ce ? » Quelque chose frôle ma jambe. C’est une sensation furtive. Peut-être un déplacement d’air.
Dix-sept heures.
Noé est tout heureux de rentrer. Madame Lamme, la maîtresse m’arrête et me tend un dessin qu’il a fait dans l’après-midi.
– Votre fils dort bien, en ce moment ?
– Heu, non ! il fait des cauchemars qui le réveillent !
– Regardez sur le dessin, il a dessiné deux yeux. Il m’a dit les voir dans sa chambre. A-t-il vu une image effrayante, à la télévision par exemple ?
– Non, rien, non je ne vois pas.
– Si, je peux vous conseiller, ce serait de consulter un spécialiste !
– Un médecin ? Tout de suite les grands pontes de la tête. Il va bien, ce sont juste des cauchemars, rien de plus !
– Je suis d’accord avec vous, mais dans la mesure où Noé s’endort sur son bureau, ce qui n’est pas admissible en classe. Il faut essayer de savoir ce qui se passe rapidement. Il va prendre du retard, en fin de trimestre, c’est préjudiciable pour son avenir !
Sans répondre, j’embarque la poignée et mon garçon, tout en pensant que c’est un peu énorme d’appeler les médecins de la tête pour de mauvais rêves. De retour dans notre appartement, je le regarde goûter, rire, m’aider à ranger avec ses petites mains. Il va jouer dans sa chambre pendant que j’appelle ma sauveuse de ce matin afin de convenir de la date du dîner dû.
Dans sa chambre, Noé joue avec Goldorak et le fait combattre contre un Pokémon. La bataille est rude. Sous des » oh, ha ! » le Pokémon a gagné.
Noé tourne la tête, intrigué par un bruit derrière lui. La porte s’ouvre, un courant d’air lui chatouille le nez. Il se redresse s’approche du mur, regarde de plus près. Il voit quelque chose, sans parvenir à discerner ce que c’est. Un petit bruit lancinant régulier, sombre. Il tend la main, traverse l’ombre qui s’efface. De stupeur, il se frotte la main, un peu terrorisé.
Je suis au téléphone, NoéI sort en courant de sa chambre et m’agrippe le bras affolé
– Attends, Marie, Noé a une urgence. Je te laisse !
– Bon, Noé, tu le sais que ça ne se fait pas de m’interrompre, lorsque je suis au téléphone !
Tout en montrant la paume de sa main, il m’explique :
– Maman, j’ai touché, j’ai touché !
– Touché quoi ?
– Les yeux verts-jaune !
– Reste là !
Je me lève et ouvre violemment la porte de la chambre. D’un regard circulaire, je contrôle. « Non il n’y a rien ! » Noé s’est installé sur le canapé. La réalisation artistique en main, je m’assois à ses côtés. Il faut qu’il m’explique :
– Noé, ton dessin. C’est ce que tu vois, depuis trois semaines ?
– Oui, maman. Les yeux, parfois ils bougent, parfois non !
– Mais, avant qu’on emménage ici, tu les voyais aussi ?
– Non, pas avant ! et il est là, je l’ai touché. Il est tout froid, et il fait un petit bruit !
– Noé écoutes ! il n’y rien d’autre à part nous dans cet appartement. Ce que tu vois c’est, c’est. Tu sais, lorsque tu ouvres longtemps les yeux dans le noir, ton cerveau peut imaginer des choses et te faire croire qu’elles sont réelles. Lorsque ça arrive, tu as juste à fermer les yeux un instant, et elles disparaissent.
– Mais, je l’ai touché. Il est là dans ma chambre. Il veut peut-être jouer avec moi ?
– Je ne sais pas quoi te dire Noé. Il n’y a que toi et moi, ici, tu comprends ?
– Oui, mais il est là aussi !
– Qui Noé ? Qui est là ?
– L’ombre aux yeux verts-jaune, qui fait un petit bruit !
– Noé, va poser les couverts sur la table. Je prépare le repas, après le bain et dodo. Maman est fatiguée !
– Avec toi ?
– Non, Noé ! maman a besoin de dormir dans son lit et Noé de dormir comme un grand dans son lit.
Lors du coucher, le regard sérieux envers Noé, je lui explique qu’il doit dormir comme un grand garçon dans son lit et que si les yeux verts et jaunes l’embêtent, il a juste à fermer les siens. Un bisou, la veilleuse est allumée, en sortant, j’entends le soupir de mon fils. Je suis vannée et je vais lire en attendant mon sommeil.
L’appartement respire le calme d’un soir d’hiver. Le ciel lunaire éclaire l’intérieur dans un jeu d’ombres et de lumière. L’horloge égrène son temps.
Noé, fixe le mur. Les yeux verts-jaune apparaissent. Il se souvient du conseil de sa maman et ferme un instant les yeux. Lorsqu’il, les ouvrent, les yeux se sont approchés du lit. Un léger air frais touche son visage. Il est prêt à appeler sa mère lorsqu’il entend :
– Noé, je suis ton ami. N’aie pas peur !
– Mon ami ?
– Oui, mon petit. Je veille sur tes nuits, au-delà de ce que tu vois ! Je suis ton gardien de sommeil en douceur. Ne te souviens-tu pas, m’avoir déjà vu ?
– Quoi ! je n’ai jamais vu d’yeux verts-jaune dans la nuit ! et de corps, tu n’as pas !
– Noé parle moins fort. Je ne veux pas affoler Joyce. J’ai des yeux que tu as déjà vus. Souviens-toi !
– Tu connais ma maman ?
– Oui, j’ai comment te dire ça ? Je vous ai retrouvé tous les deux. Dieu me l’a permis. J’ai un message pour ta maman ! Écoute bien et je te conjure de faire ce que je te dis, d’accord ? J’ai emprunté le corps d’un chat pour ne pas t’effrayer. Je suis un chat fantôme, gentil. Tu vois mes yeux au travers des reflets lunaires. C’est comme lorsque tu as les yeux rouges sur une photo à cause du flash. Je suis dans le regard du chat fantôme, ton père !
– Mon père, il est mort. Il y a longtemps, maman m’a dit qu’il est dans les nuages !
– Je sais Noé, mais demain au réveil, tu diras à maman, que papa veille sur vous, ici et au-delà de la lune. Dis-lui qu’elle peut, si elle veut. Les yeux vairons garderont son amour, qu’elle peut désormais aimer pour elle. Saches que tu es la plus belle œuvre de ma vie. Grandis, deviens fort, aime. Mon fils, je viendrai veiller sur ton sommeil, tous les soirs. C’est un secret, dors maintenant. Tu en as besoin !
Noé vit le chat fantôme s’élever sur ses pattes arrière. Grandir, pour se matérialiser en homme. Les yeux de son père s’éclaircir en brun bleu comme sur la photo encadrée dans le salon.. La forme s’effaça dans une lame d’air. Noé regarda au pied du lit et sentit le chat fantôme se lover entre ses pieds et ronronner.
– Noé ! il est l’heure !
Déjà, mon fils me saute dans mes bras.
– Et bien pas de terreur cette nuit ! et tu as dormi comme un grand dans ton lit, je te félicite !
– C’est grâce à papa. Il a dormi avec moi !
– Qu’est-ce que !
– Papa, il m’a chargé d’un message pour toi !
– Noé, ce n’est pas drôle ! va prendre ton petit déjeuner !
Noé, surpris par mon ton, alla s’asseoir, la mine boudeuse. Je le regarde encore furieuse, prendre sa petite cuillère, lorsqu’il relève les yeux vers moi, il me dit : « les yeux vairons veillent sur toi, tu as le droit d’aimer à nouveau, si tu le veux ! »
Ma tasse de café s’éclata sur le carrelage. Je cours dans la chambre de Noé. Il n’y a rien ! Je ne vois rien, lorsqu’un courant d’air frôla mon tibia. Soudainement, j’esquisse un sourire : « Noé, tu as raison, il y a quelque chose ! »
Dans la matinée, avec Noé, nous avons choisi un vrai chat, pour tenir compagnie au chat fantôme aux yeux vairons. Je ne pouvais le savoir seul alors qu’il m’avait autorisée à être heureuse.
Noé choisit un joli mâle blanc et noir qu’il nomma Opéra.