C’est un beau prince, grand, brun, viril, marqué par une particularité. Il aime les hommes, pas les femmes. En cette ère sans date, tout irait bien si en secret dans son esprit, il ne désirait pas connaître cet amour. L’amour d’une femme, le corps d’une femme, la pensée aimante d’une femme.
Oh ! il n’est pas malheureux. Il a su conquérir un autre tout aussi aimant, lui rendant au centuple le désir charnel et la beauté d’un sentiment réciproque. Mais au fond de lui, l’inconnue, il voudrait y goûter. La nuit dans ses songes, il imagine le sentiment d’une femme. Quel serait-il ? Comment pourrait-il être ? Plus les jours passent, plus il s’interroge.
Une nuit aussi farfelue que son désir, allongé sur l’herbe du jardin de son amant, il implore les étoiles de lui fournir un sortilège magique pour que son destin découvre le plaisir d’un amour féminin. Il se lève, lasse de ses interrogations, contemple une dernière fois la voûte étoilée lorsque un petit sac atterrit à ses pieds.
C’est un contenant en cuir brun lié par une cordelette rouge. Il ouvre la petite besace, il y découvre au reflet de la Lune de la poussière. À l’intérieur, un mot est caché, il le sort et lit : « Toi, l’homme, tu as choisi d’aimer un homme. Dans le creux de ta pensée, tu souhaites découvrir le plaisir charnel du sexe opposé. “Que ton vœu soit exaucé. Le secret de la poudre te guidera. Une portion pour toi, une portion pour celle que tu choisiras. Ne te trompe pas, le sortilège ne durera qu’une nuit. Si la sagesse te guide, d’erreurs, tu ne feras pas !”
Un sourire s’esquisse sur son visage, serrant le sac contre son cœur. Il scrute la Lune et lui chante en chuchotant “Merci !” Puis il va se recoucher auprès de son compagnon dont la mère dort à l’étage.
Le lendemain, il vaque à ses obligations professionnelles, tout en cherchant la femme qui pourrait lui convenir. Il pense, une blonde, une brune, une rousse, grande, petite. Il n’avait pas réfléchi à ce fait. Un instant, il ne sait plus laquelle choisir par peur de se tromper. Il a pourtant du choix autour de lui, trop pour se décider.
La journée s’achève sur cette note de distraction involontaire, lorsque il rentre auprès de son ami. Naturellement, il va s’enquérir de la santé de sa belle-mère. En croisant son regard, il comprend que la possibilité est devant ses yeux. Il s’interroge “n’est-elle pas trop âgée ?” La nuit suivante, il demande à l’astre qui décroît de lui envoyer une potion qui permettrait de rajeunir son choix. Par magie un second sac descend des cieux et tombe à ses pieds, sans plus.
N’y tenant plus, dans la cuisine, il prépare deux tasses. Dans l’une, il y verse la poudre tout juste arrivée, et s’en va écourter la nuit de sa belle-mère.
– Belle-mère ! réveillez-vous, je vous ai préparé une tisane. Vos ronflements résonnent jusque dans les murs de notre chambre plus bas. J’y ai mis du miel pour adoucir votre trachée. Demain, vous aurez ainsi une voix de déesse, nous chanterons alors en cœur ! Prenez, je vous prie !
La belle-mère lasse et endormie ne peut assembler sa pensée. Devant la tasse exaltée de vapeurs, elle plonge ses lèvres. Elle avale la potion d’un trait, toussote un instant puis repose sa tête sur l’oreiller.
Un nuage sombre l’enveloppe alors que le bellâtre se hâte à son tour de mélanger la poudre au reste de tisane préparée dans une seconde tasse. Il l’avale cul sec et s’assoit sur le rebord du lit alors que la luminosité de la lampe de chevet faiblit. Soudainement, il est englobé dans ce tourbillon. Il décide de s’allonger auprès de sa belle-mère, pensant que la Lune est un don de bonté. La chambre est maintenant envahie par une substance volatile de plus en plus sombre. Le temps s’arrête. Un tourbillon conique se forme, évasé au sol, cintré au plafond. Des éclats lunaires dévoilent discrètement leurs contours corporels.
Il ouvre les yeux face à sa belle-mère qui désormais paraît avoir la beauté inscrite au-delà d’elle-même. Les cheveux d’un blond vénitien, la peau pâle d’une duchesse poudrée, le corps svelte d’une femme jeune et aimante. En tout point parfaite à son souhait. Ils s’enlacent avec passion, lévitent au plafond. Tous deux ne forment plus qu’un. Rien ne les distingue, là, en hauteur. Le séducteur osa une question :
– Est-ce cela l’amour d’une femme ?
– Oui, il n’a pas de poids ! Il est léger comme une feuille, naturel comme un arbre secoué par le vent. Il est unique comme la pierre précieuse. Il est limpide comme l’eau de la rivière où les loutres jouent. Il est entier comme la rondeur de la Lune, souvent brûlant comme le Soleil. Il est lorsque le sentiment choisit sa page d’écrits. Il est semblable à la naissance d’une vie, jamais il ne trahira. Il est folie d’envies, rêve d’espoirs, créations de demain. L’amour d’une femme, c’est un joyau qui se sculpte dans le regard de l’amant. L’amour est un naturel qui jamais ne pourra se mentir même en chuchotant. Tout reste à l’unique de la première fois, pas de mensonge. La Lune ne t’a-t-elle pas laissé ce message ?
– La Lune ?
– Oui ! Ne t’a-t-elle pas avertie que l’amour n’est pas une tromperie à coup de poudre d’étoiles ?
– Non, je ne crois pas !
Le bellâtre sent quelque chose tournoyer plus vite dans son corps. Si vite, qu’il sent que la chaleur se fait de plus en plus intense. Il se met à crier de douleur.
Sa torsion vocale raisonne dans la pièce. Sa belle-mère passe devant ses yeux, de vieille à jeune puis de jeune à très vieille, jusqu’à que l’étape de squelette en putréfaction arrive. Un millième de seconde à peine. Il discerne sans comprendre. Il hurle, rien n’y fait. L’étreinte de l’amour est plus forte. L’effroi reste dans sa gorge, tout s’envole en fumée noire et âcre, peignant le plafond de ténèbres.
Dans un dernier secret, susurrer à l’oreille du bellâtre, sa belle-mère lassée de sa chair pendante, lui explique :
– Tu as souhaité connaître l’amour d’une femme. Pourtant, tu aimes un homme. La poussière d’étoiles n’est que pour les sentiments sincères. Certainement pas pour les lubies d’un homme. La Lune te l’a écrit !
Dans un dernier effort, le bellâtre demande : où ?
Un rire sardonique expulse la réponse :
– Derrière la feuille ! les instructions étaient à lire sur l’intégralité de la missive. Tu n’as lu que ce que tu souhaitais.
Un éclair traversa la pièce, la vieille dame retomba sur son lit. Le bellâtre fut aspiré vers les cieux nocturnes et disparut à tout jamais.
Le lendemain matin, une dame âgée la pelle et la balayette en main, enlevait toute la poudre éparpillée sur son plan de travail. Ouvrant la poubelle de la cuisine, elle y jeta deux petits sacs ainsi qu’une feuille. Elle aimait l’ordre plus que tout.
Cependant, bien soucieuse du bien-être de la nature, elle jeta à la volée sur sa terrasse le reliquat de poudre. Des mésanges refroidies par la nuit s’empressèrent de picorer l’archaïque nutriment. Rassasiées, elles s’envolèrent, non loin, dans un bosquet bien vert.
Depuis ce jour, celui qui s’aventure dans cette forêt en suivant le doux sifflement des mésanges n’est plus jamais réapparu.