Huleux le globuleux


Sur une terre verte vivait un petit personnage au ventre rebondi, qui chaque jour, derrière les nuages décrochait le soleil avec appétit.

Le jeune Marschim est né voilà trois ans dans le village de Ponicrun. Une terre cachée dans une pénombre grise.

Cette population ne grandit pas. Elle a une croissance expresse. Ainsi à son âge, Marschim sait déjà beaucoup. Sans soleil, la vie est courte. Chacun se presse de grandir, d’apprendre, de vivre simplement.

L’espérance de vie est réduite à vingt ans. Pas de vieux ridés dans le bourg de Ponicrun, qui fût jadis une terre d’exil pour tous les botuliques de la mer. Pourtant, c’est un beau paysage qui nourrit suffisamment chaque habitant. La satiété dans le noir est vite comblée. Les repas sur le pouce ne durent pas plus de cinq minutes. Tout, dans ce pays, semble contraint par le manque de luminosité. Le sommeil est similaire à la lassitude de la nuit. Long, très long, pas moins de vingt heures. Réveillé, chacun se dépêche de vivre aux premières lueurs matinales. Été comme hiver, pluie ou temps sec, les journées se répètent ainsi. Mais un petit matin, Marschim au milieu de la forêt d’acacias et de ronces sans fleurs, surprit le voleur de disque astral. Intrigué, il le suivit. Au bord du lac, le kidnappeur apprécia le globe jaune dans ses mains et l’avala aussi soudainement que son iris s’y était reflété. Et la nuit grise fut de retour.

Marschim étouffa un cri d’effroi. Stupéfait, il était. Voilà donc la raison de cette absence, pensa-t-il ! Qui est ce personnage mangeur de soleil ?

Marschim rentra dans sa demeure champignon pourrissant de trop d’humidité, il expliqua à son père ce qu’il venait de voir et surtout de saisir de cette vie en gris !

Mon fils expliqua son père, la moustache en queue-de-cochon, «

– Tu as vu le tertiaire éphémère, il se nomme Huleux le globuleux. Référence à ses yeux extériorisés qui brillent jusque sous l’éclat de la lune, telles des billes de verre, translucides. Il ne faut pas t’en approcher, il pourrait t’ingérer.

– Mais qui est-il ? Tout seul dans la forêt, comment fait-il ? Et pourquoi attraper le soleil de la nouvelle journée pour le manger ?

– C’est une légende fils. Mes aïeux m’ont raconté que c’est un des nôtres qui a trouvé un jour, une baie trampoline et l’a goûté. C’est ainsi que Huleux le globuleux est parvenu à sauter au-delà du couloir des nuages et le soleil. Au début, cela ne semblait être qu’un jeu puéril de gravité, lorsqu’un jour affamé, Huleux décida de goûter la matière du cercle solaire. Dès l’ingestion, il se sentit revigorer de forces insoupçonnées, qu’il recommença le lendemain, et depuis, il est…

– Les baies trampolines n’existent plus, irradiées par le manque d’ultra-violet pour naître. Huleux nous empêche de grandir, veut-il nous détruire, père ?

– Je ne crois pas, il est de notre communauté depuis sa naissance, sauf qu’il a découvert quelque chose qui lui permet de ne pas vieillir. Je crois que l’ingestion de l’astre l’en empêche. Si, je ne me trompe pas, il doit bien avoir cent cinquante ans Huleux. Au moins !

– Cent cinquante ans, père ! Nous vivons à peine jusqu’à vingt ans !

– Je sais fils, mais le docteur pourra mieux t’expliquer son âge, moi, et tu le sais, j’arrive au terme de ma vie. Mais, ne t’en approche pas, il est dangereux.

– Père, s’il mange le soleil, le jour où, il n’y en aura pas, mangera-t-il également la lune ?

– Je ne sais pas, c’est possible. Heureusement, chaque jour un nouveau disque jaune apparaît, même s’il pleut. Ce que nous ne voyons pas, lui le voit grâce a son pouvoir trampoline.

– Père, je m’en vais arpenter notre forêt, je trouverai son cloître et le raisonnerait. C’est une vie si courte, triste et fade, sans soleil. Je vais le retrouver, l’implorer s’il le faut, le payer, que sais-je. Je ne peux me laisser imprégner de cette vie linéaire, figée de fatalité et d’abandon. Peut-être reste-t-il un spécimen de baie trampoline en germination sous l’humus ou sous une souche centenaire. Ainsi, je pourrai lui prendre le soleil avant qu’il ne l’ingère.

– Qu’en feras-tu, mon fils ? L’ingérer comme Huleux le globuleux, pour vivre une centaine d’années et voir les tiens s’effacer dans la nuit la plus terne en horizon d’avenir !

– Non, si je parviens à le conserver, je le mettrai en sécurité dans une grotte s’il le faut !

– Dans une grotte, le vie sera identique et le soleil renaîtra chaque jour. Des cachettes, il en faudra énormément. Sois réaliste Marschim, Huleux les trouvera !

Une heure avait terminé sa course, un brouillard dense avait emporté les contours du territoire, Marschim vit son père se creuser encore en rides amères, lasses de s’articuler sur une souplesse éteinte.

Un dernier regard, Marschim avec conviction expliqua sa décision :

– Père, l’instant est idéal, Huleux va irradier dans cet amas humide. Je saurai le retrouver et négocier. Père, un rayon au moins, je t’apporterai pour que demain tu sois encore.

Et sans attendre la réponse, Marschim se dirigea au cœur de la forêt, le bruit de ses pas feutrés par la lourdeur de la brume grise. Il chercha, dans chaque coin, recoins, cavernes. Arrivé près d’un lac vaporeux, il vit un fil de lumière “oui ! Huleux est là !”, devant cet étang qui reflète difficilement sa surface.

Marschim s’approcha avec prudence, telle une chouette qui frôle l’air pour ne pas effrayer le campagnol nerveux. Il siffla un air ancien appris de son père.

Huleux se releva avec rapidité, essaya de cerner les contours du son, qu’il n’eut pas le temps de fuir, Marschim lui souffla la fin de la mélodie avant de le rassurer :

– Huleux ! n’aies crainte, je viens en ami, je voudrai juste un rayon de notre astre de vie. Mon père se meurt, accepterais-tu une fois de partager le soleil que tu emportes avec toi chaque matin dès l’aube ?

– Qui es-tu, un Ponicrunien ?

– Oui, je t’en prie, je me nomme Marschim, Huleux. S’il te manque un rayon, ce n’est rien pour une fois !

– Ce n’est rien, j’étais de Ponicrun avant d’en être banni tels une mousse putride, ou un champignon véreux. Tu es jeune, certainement as-tu entendu la légende me concernant. Je ne suis pas mauvais. Je suis aigri, les baies trampolines m’ont aidées. Curieux hasard d’interdire aux enfants de manger un tel fruit qui permet d’attraper le soleil. La première fois, la drôlerie du bond me rendit joyeux.Lorsque j’eus compris qu’au-delà du plafond bleu, je pouvais atteindre l’éclat rassurant du soleil. J’étais le plus heureux de tous les heureux, alors j’ai.

– Tu as avalé l’astre ?

– Laisse-moi terminer MON HISTOIRE. Non, je l’ai remis en place. De retour au village, il y avait un vieux tout délabré, avec du pétrin de fourmi dans la tête qui depuis mon jour de naissance me flanquait une raclée à chaque mot à l’envers que je ne savais retenir. Il m’avait vu passer au-delà du ciel alors qu’il colmater un tronc lointain, j’avais tout juste douze ans. Après m’avoir humilié devant la communauté, il me jeta un baluchon et me demanda de ne plus jamais revenir. Avant mon départ, il a fait ce qu’aucun sage ne ferait. Marqué par la douleur physique, par ma peine psychologique, ma solitude, j’ai décidé de faire taire la lumière en moi et en eux. Mes pensées sombres m’avaient rassuré sur la juste action à mener. Si, je n’étais plus des leurs, je garderai ma lumière et toutes les autres pour moi seul. Ce n’est que deux mois après mon exil que je me mis à gober l’astre et que j’en découvris les effets sur ma constitution. Un hasard, un malheur rien de plus

– Huleux, si demain de soleil, il n’y a pas, feras-tu de même avec la Lune ?

– La lune, oh non ! C’est la seule lumière qui me guide dans la nuit. La lune est une vraie sage, seule en lumière froide, elle me guide sans rien demander. Alors que le soleil éclate et brûle. Il est si fort que lorsque je l’avale, il me transforme en feu follet. Je suis obligé de l’ingérer, car il brûle chaque chose sur laquelle j’ai essayé de le poser.

– Huleux, demain un nouveau viendra. J’ai besoin d’un rayon, pas plus, le temps presse.

– Oui, le temps presse. J’ai cent cinquante ans, un chemin morne de bonds. Ma joie est d’hier, demain toujours identique, et toi qui me supplie ridiculement un rayon alors que l’astre ne peut se fractionner. Et de mon ventre, que veux-tu ressortir à part une acidité brûlante, si fade que de sens, de raison, il n’y a rien qui rejaillira. C’est un disque à lames, je ne vis pas sur ce chemin. J’irradie son énergie, si le soleil de demain je laisse au ciel, je mourrai, à cause d’un passé, non choisit ! Marschim, pour qui souhaites-tu ce rayon ?

– Mon père, il se meurt, comme tous les gens de Ponicrun. Huleux, je t’en prie, il n’a que dix-neuf ans et tant encore à m’apprendre.

– Je ne peux te le donner ainsi. Je devrais le remettre à sa place, là-haut, au-dessus de ma tête. Et je mourrai sur ce chemin d’exil où je n’ai rien trouvé qui me rassure suffisamment pour pardonner leur bêtise.

– Huleux, le pardon est dans le soleil. Tu me l’as dit, la Lune te guide dans la nuit. Le soleil fait de même, le jour. Sans lui, la vie peine. Cette brume nous colle jusqu’au cœur de nos pensées. Je ne sais qui était ce sage, mais s’il n’est plus pour lui pardonner, tu te dois de te pardonner en laissant les astres dans le berceau de leur naissance. Tu pourrais continuer ta vie sur le chemin présent et construire un autre demain plus réaliste. Autrement qu’en bonds et chapardages.

Après un long soupir de lassitude, Huleux plongea ses deux mains dans le lac, avala l’eau qui grésilla au contact de sa chaleur intérieure. Il se mit à tousser. Une quinte de toux longue et douloureuse lui fit expulser le soleil. Il s’en saisit, visa un point en hauteur, prit deux pas d’élans et disparut un court instant derrière le gris visqueux. Soudain, une ligne tomba en une pluie fine. Le ciel s’éclaircit, la brume laissa les contours de la forêt renaître. Un oiseau gazouilla, un nuage se forma, Huleux atterrit avec lourdeur sur la berge verte. Il regarda Marschim et sans mots, lui fit signe de le laisser.

Marschim repris le chemin vers son bourg, lorsqu’il se retourna pour demander à Huleux — qui était ce sage avec du pétrin de fourmi dans la tête ? —

– C’était mon père. Va faire ce qu’il faut pour le tien!

Ils se quittèrent. Huleux ne réapparut pas. Ponicrun reprit sa vie de village. Rien ne fut effacé, juste atténué. Le pardon est long chemin silencieux et solitaire.

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