Tu cours en riant, les joues rougies par le froid, tu sautes dans une flaque les jours de pluie. La nuit, tu t’endors en rêvant que ton ours en peluche te parle.
Mais oui, il te parle. Tes questions sont importantes. Au goûter, tu avales ton cacao avec un plaisir certain, le morceau de pain cale ta faim. Tu souris devant ce qui t’attend. L’école est une grande cour de récré où il faut juste être un peu sérieux pour ne pas avoir de punition. Tes copains sont aussi fous que toi, alors la légèreté l’emporte sur cette obligation.
En rentrant, tu comptes les pavés à cloche-pied. Ton équilibre similaire à la bravoure, rien ne te fait peur. Sur le muret, tu grimpes, histoire de voir la vie plus en hauteur. Lorsque tu seras grand, tu seras tellement fort qu’aucun mur ne t’arrêtera.
Tu attrapes une coccinelle pour l’observer et tu la laisses déployer ses ailes pour s’envoler. Tu espères pouvoir voler un jour comme sur le manège qui t’emmène vers les nuages. Tu es libre comme l’air. Les contraintes n’ont pas de réels sens pour toi. Chaque jour, les nouveautés t’émerveillent. Tu cherches à découvrir toujours plus vite. Tu sautes la rivière comme un pirate qui doit récupérer son galion échoué sur la berge. Ton bâton comme une épée, tu défies quiconque de te battre en duel. Tu le sais, tu seras le vainqueur.
Dans le champ, tu scrutes les cailloux pour ramasser le plus beau, lisse ou brillant. Rangé dans ta poche déformée, une fois dans ta chambre, il ira dans ta collection de belles trouvailles. Tu regardes la diversité des papillons se posant sur une fleur, tendant tes deux doigts pour l’attraper et pour le libérer avec de la trace sur tes doigts de poudre d’ailes. Tu imagines que c’est de la poudre magique capable de te faire voler.
Un fruit te fait envie, tu sautes pour le cueillir. En le croquant, tu tapes dans un caillou pour le valdinguer aussi loin que ton regard. La poussière sur tes chaussures trace l’empreinte de tes pas sur ce chemin. Le regard à l’horizon, tu le sais, tu seras grand. Comment pourrait-il en être autrement ? Tu espères comprendre le monde qui t’entoure comme aujourd’hui, tu le vois. Tu le sais, de la patience, il en faudra. Avec innocence, tu imagines la pluie tomber pour pouvoir à nouveau sauter dans une flaque d’eau comme le gamin que tu es à cet instant.
Mais voilà dans deux secondes, tu ne sauteras plus jamais dans cette flaque que tu dessines dans ton imaginaire. Ta légèreté va s’envoler pour laisser place à la sidération de l’acte d’une arme guidée par un homme qui pourrait être ton père. Tu comptes un, deux. À trois, te voilà estropié pour le reste de ta vie. Tes jambes déchiquetées par l’explosion de cette bombe.
À des milliers de kilomètres de là, chacun voit ton désarroi de te retrouver amputé de ton avenir. Le gras des reporters ne transpire que la primeur d’avoir été là au bon moment. Ce moment où ton avenir a été coupé en deux.
Cette guerre n’est pas la tienne. De ton jeune âge, tu ne cherches pas la raison de celui qui a raison ou tort. Tu essaies de percevoir ce que demain pourra être pour toi. Chacun se presse devant ton malheur alors que ton regard n’exprime que la lassitude d’être soudainement médiatisé. Il y a des pudeurs très vite oublié. Cette pudeur, reflet de respect d’une vie, plus que d’un corps, d’un fait, d’une douleur. Sur ton lit d’hôpital, tu fermes les yeux refusant de comprendre l’intérêt de ces hublots qui envoient plus loin ton état. Tu fermes les yeux espérant effacer cette instrumentalisation médiatique. Cette guerre, ce n’est pas la tienne. Toi qui rêvais simplement de sauter dans une flaque d’eau imaginaire, au milieu de ce désert.
Tu te rends compte qu’il n’y a que les bombes qui sautent dans les flaques d’eau. Celles-là mêmes qui coupent les jambes de ton avenir. Pourquoi ? Parce que le cœur des hommes a oublié la légèreté de sa propre enfance. Certainement asséchée par la rigueur de ce désert. Il a oublié ton innocence de gamin.