Cette nuit, une idée saugrenue m’a traversé l’esprit. Surtout, n’allez pas dire que je suis folle, je ne le suis pas. Tout d’abord, j’ai laissé mûrir cette vision qui en se dessinant plus nettement m’a apporté une interrogation au premier abord extravagante. De là a découlé cette expérience.
Alors au lever du jour, je suis allée chercher ma nécessité. Oh ! pas besoin d’aller bien loin. J’ai ouvert ma porte attendant avec patience l’objet de mon étude. Dix minutes après six heures du matin, joyeuse et ravie, j’avais trouvé LE SUJET PARFAIT !
Je ne lui ai pas menti pour qu’il accepte de participer. Avec un sourire magnifique, je lui ai expliqué qu’il devait simplement se mettre nu. Je n’ai rien ajouté de plus. Sa propre suggestion a fait le reste. Certaines choses ne changent pas !
Je lui ai demandé de monter dans ma chambre. Une fois placé adéquatement sous la lumière, je l’ai déshabillé puis l’ai considéré. Sans discussion inutile, je l’ai orienté de sorte qu’il reste de dos. Ce n’était pas une injonction. Juste une recommandation. Je ne suis pas dominatrice. N’allez pas chercher mon intention, vous ne la trouverez pas. Contentez-vous de poursuivre cette lecture. Ça, c’est un ordre réel !
Mon regard vise le chemin de son rachis, de la nuque au sacrum. De dos, un homme est beau. Mon index souligne tous les renflements de sa musculature, tous les creux de ses vertèbres. C’est alors qu’il a voulu se retourner. D’un geste ferme, je l’en ai empêché. Mon observation n’était pas terminée.
Ses jambes n’avaient pas d’intérêt. J’ai inspiré profondément, tout en réfléchissant. De face, de dos ou de profil, ce que je cherchais n’était pas là. Mais d’un coup, ça a fait « tilt » dans ma tête. « Sil “n’y avait pas, je pouvais le créer !” Je devais réaliser mon idée avant qu’elle ne devienne chimère. C’est à l’étage inférieur que l’outil de ma possibilité se trouvait.
Ma ressource en main, je l’ai rejoint. Je suis feu follet, car je sais que si cela fonctionne comme je le souhaite, cela pourra inverser le sens ou plutôt l’intention de nos vies. Je lui demande de me faire confiance et de ne plus bouger. Je l’avertis également que quelque chose de froid va longer son dos.
Je démarre par sa nuque, longe les trapèzes puis descends le long de sa stature. Je m’arrête juste au-dessus des hanches. Je n’ai pas besoin d’aller plus bas. J’observe la finition. Le travail est parfait. Harmonieux, je vous le dis !
À ce moment-là, je lui explique qu’il va certainement ressentir une sensation inconnue. Qu’il pourra me l’exprimer si elle est douloureuse !
Je lui demande encore une fois d’incliner sa tête vers le sol. Je saisis sa peau à la base de son occiput pour tirer vers le bas. Il me dit ne ressentir qu’un léger courant d’air froid. Désormais, le bruit est clairement identifiable sauf pour celui qui n’a jamais vécu nu !
J’attaque les deux parties des épaules qui me permettent l’ouverture afin d’y voir clair. Je replie ce qui m’embarrasse sur les bras. La musculature dorsale se dessine sous mes yeux dans l’intégralité de ses nuances colorées. Je pense que pour ma réalisation, l’accès par le torse aurait été plus aisé. Mais, que je peux me contenter de cet accès pour ne pas effrayer mon sujet ! Le corps est prévisible dans ses réactions, pas le cerveau.
Je plonge mes mains dans ce corps. J’écarte en douceur ses muscles, les tendons, les nerfs blancs. C’est que je ne veux pas provoquer de séquelles irréversibles. Je pousse tout ce qui a peu d’utilité pour ma recherche sur le côté. J’atteins enfin une partie de mon Graal. Son cœur s’agite, les reins filtrent en temps réel, le foie, la rate, les poumons s’amplifient massivement à chaque inspiration.
Je commence par retirer le moins essentiel. J’extirpe sa vésicule biliaire tout en m’attendant à un cri de sa part. Mais, rien de rien. Il est stoïque, je continue. Je dépose tous ses éléments biolologiques sur ma table de chevet. Je suis dans le même temps très étonnée, car il n’y a aucun saignement. Tout se passe à merveille alors que me vient l’envie de réviser l’anatomie humaine pour être un peu plus sereine. Les intestins comme des vers visqueux se laissent tasser sur les côtés. Ils n’ont aucune utilité pour moi. Une fois les deux poumons retirés de leur cavité, je m’attends à ce que mon sujet s’effondre. Encore une fois, rien ne se produit. Je sais désormais que je peux aisément ôter le cœur sans crainte. Lorsque je le saisis avec mes deux mains, il bat. Je dois rester concentrée, ses pulsations ne s’arrêteront pas en dehors. Je me dois de le tenir avec assurance. Je ne souhaite pas le déconnecter des artères. Cette action serait trop risquée pour mon modèle.
Le sternum de dos c’est quelque chose à voir. Cela ressemble à un xylophone mal assemblé. Une mélodie soudaine égaye mon esprit. Il me manque un paramètre essentiel pour parvenir au bout du bout de cette expérimentation. Le cerveau, comment retirer l’encéphale de la boîte crânienne ?
Je me mets à genoux pour apercevoir sous l’occiput la masse blanche et tortueuse qu’est le cortex. Je perçois que cette manœuvre est impossible. Je ne veux pas modifier la capacité originelle de l’être que j’ai devant moi.
Je suis presque arrivée à mes fins. Maintenant, je place le cœur à l’endroit du foie. Je souris en pensant à la crise de foie qui désormais sera une crise de cœur !
Les poumons prennent la place des reins afin d’augmenter l’élan naturel du corps. Les reins viennent en lieu et place de l’appareil respiratoire. Les gueules de bois seront plus courtes, car plus rapidement filtrées. Cela permettra d’éviter l’état d’ébriété ainsi que ses conneries !
L’épigastre, je décide de le mettre à l’endroit du muscle cardiaque comme ça plus d’estomac dans les talons ! La rate, le pancréas et la vésicule biliaire prennent l’emplacement de l’estomac.
Je scrute une dernière fois, replace les muscles tout en douceur et pince la peau au niveau du sacrum puis je remonte vers la nuque. La sonorité me paraît plus humide cette fois-ci !
Alors que j’achève la fermeture féerique de la peau, je m’enquiers de l’état de mon sujet :
– Tout va bien ? J’ai terminé !
Un ah marqué d’une intonation de déception me parvient.
– Tu peux respirer à fond ?
Il s’exécute et plaque ses mains dans le dos !
– Une sensation ?
– Non pas réellement, juste l’impression que rien n’est à sa place ?
– Comment cela ?
– Je suis mort de faim, j’ai quelque chose qui appuie sur la colonne vertébrale lorsque j’inspire. Mon cœur est comme étouffé !
– Étouffé. Est-ce douloureux ?
– Douloureux ? Non, plutôt déroutant. Qu’as-tu fait à mon corps ?
– Pas grand-chose ! Sais-tu évoluer sur les mains ?
– Marcher sur les mains, oui, je peux !
– Je veux voir si tu te sens mieux comme cela.
Avec un pas d’élan, mon sujet se positionna tête en bas. Il exprima aussitôt un mieux-être.
Voilà, j’étais au terme, mais la conclusion n’allait pas. Certes, je pouvais m’amuser plus longuement et lui apprendre que pour se sentir bien, il devrait cheminer sur les mains. Mais je ne voulais pas lui révéler le fondement de ma pensée nocturne. Alors, il ne restait que la sagesse ou le bon sens. “Chaque chose à sa place et une place pour chaque chose. J’étais obligée de m’incliner, car il me manquait l’accès au cerveau.
En lui demandant de se positionner sur ses pieds, je lui expliquais que j’allais arranger sa situation et qu’après il pourrait reprendre naturellement son chemin. Son regard à cet instant était dans le vague. Certainement par manque d’oxygène. Le cœur trop éloigné du cerveau.
Je réitère ma première manœuvre de manière inversée. Une fois tous les organes délogés, je les remets dans leur position originelle. L’expérience se termine ici en n’oubliant pas qu’avec un linge humide, j’efface le dessin de la fermeture éclair que j’avais dessinée au feutre. C’est cette image qui est apparue au petit matin dans mon esprit. La réflexion est venue juste après comme la possibilité de remettre la cohérence du cœur avec celle de la conscience de tout être humain. Désormais habillé, je lui ai ouvert la porte pour qu’il pousuive son chemin. Le sien, pas le mien !