Mis en avant

Jeanne, dans l’ombre des vagues

Bienvenue, dans cette biographie en cours d’élaboration. J’ai préféré commencer durant ce joli mois d’avril, car il souligne la naissance de toutes les fleurs de ma vie. Ève Lieby

Une méthode :

En partant de quelque lignes écrites de la main de Jeanne Hetzel, née Kaufman. Je tracerai une trame, des questionnements, un axe de recherche, pour arriver au récit.Un chapitre ne sera final que sous ce terme. Avant, il s’agira d’une esquisse de récit.

Les recherches vont être nombreuses, heureusement, des photos d’époques me permettront de ressentir l’indicible. La biographie sera illustrée.

Une seule personne, mon oncle, peut encore m’aider pour confirmer certains détails. Est-ce que cela pourra suffire ?

Je vous invite à la suivre dans son voyage personnel qui la conduira bien plus loin qu’elle ne pouvait l’espérer.

Biographie d’une femme de marin engagé dans la Marine Nationale. » Jeanne, dans l’ombre des vagues

Ma Grand-mère écrit :

Je suis née le seize mai dix-neuf cent quatorze à Jungholtz.Mon père s’appelait François-Xavier Kauffmann et ma mère s’appelait Caroline Montalbetti.J’avais quatre frères qui sont nés avant moi. Mes parents étaient heureux avec leurs enfants.

L’Alsace était à ce moment de nationalité Allemande.Mais en août mille- neuf cent quatorze, l’Allemangne a déclaré la guerre a la France. Mon père a dû partir à la guerre malgré les cinq enfants.

Notre village, Jungholtz, était souvent bombardé. En dix-neuf cent quinze, ma mère avec les enfants a dû partir comme réfugiée en Allemagne à Plochingen.

Ma mère a pu aller travailler chez quelqu’un, parce que nous avions notre grand-mère ( la mère de ma mère) Félicité.Elle faisait le manger pour toute la famille et elle me gardait.Les quatre frères allaient à l’école en Allemagne. Les deux plus jeunes allaient à la maternelle et les deux grands à la grande école.Nous sommes restés à Plochingen jusque en mille-neuf cent dix huit. Alors la guerre était terminée !

L’oublié

Je me nomme Jeanne Kaufmann. Je suis née durant la Première Guerre mondiale. Ma mère, Caroline était dans son corset d’une beauté naturelle qui avait séduit mon père François-Xavier Kauffmann. Ils se sont mariés à Jungholtz le vingt-sept octobre mille-neuf cent cinq.

Le seize mai mille-neuf cent quatorze, je vois le jour dans une fratrie comprenant quatre garçons.

Voilà! j’étais l’unique fille.

La fierté de mon père qui tout ému, courra à la mairie de Jungholtz, déclarer ma naissance et me donna le prénom de Jeanne. Il était tellement heureux que lorsqu’il prit l’acte de naissance, il ne fit pas attention à ce que le préposé eût écrit.

Des milliers de fois, la question fut soulevée : « Pourquoi le nom de ton père et de tes frères s’écrit-il avec deux F ? Alors que tu n’en as qu’un ! » C’est vrai ! je répondais avec assurance que le deuxième était « l’oublié ! »

La mobilisation nationale n’a eu lieu que quelques mois plus tard, mais déjà l’ombre de la guerre planait. La mairie de Jungholtz était petite comme le bourg. Mon père a bien voulu faire rectifier l’erreur, mais il était trop tard. Il fut appelé malgré sa charge familiale sous le drapeau Français, suite à l’ordre de mobilisation générale du premier août mille-neuf cent quatorze.

Le lien bleu vous permet de consulter l’intégralité du document qui était placardé par les autorités de tutelles.

Août 1914, la mobilisation générale

Le 1er août 1914, l’ordre de mobilisation générale est décrété en France. Tous les Français soumis aux obligations de la conscription universelle masculine en vigueur doivent donc quitter leur foyer et revêtir l’uniforme. Retour sur un processus d’une ampleur jusque-là inconnue.

Sur le cliché dos à l’arbre, ce sont mes frères, Paul, Louis, Charles et Henri. Je suis sur les genoux de ma maman, Caroline. C’était en mille-neuf cent quatorze. J’avais quelques mois.

Ma grand-mère Félicité avec son corset très, très serré pose avec mon oncle, Paul.

La photo, en haut à gauche, date de mille-neuf cent seize, j’ai deux ans. Nous étions réfugiés en Allemagne à Plochingen.

Ma vue baisse ! il faut que je prenne une loupe pour discerner les détails. Je porte un joli tablier blanc, avec un ruban dans les cheveux. Je suis toujours étonnée de voir la qualité des tirages de l’époque. Ils ont plus de cent ans, et tant voyagé. Pourtant, ils n’ont pas oublié mon relief de petite fille avec un F à son nom de famille.

L’oublié est devenu, je le crois, ma volonté de ne jamais l’être.

Séquence 15 : Le port de Casa bombardé par les Alliés, le devoir d’un marin et d’une femme de marin est simple : résister.

 Contenu : Ce 8 novembre 1942, Jeanne est réveillée par le bruit des bombes qui sont larguées sur Casa. Charles comprend que Casablanca est attaqué. Il quitte sa famille pour rejoindre le torpilleur Tempête à six kilomètres. Jusqu’au 10 novembre 1942, les obus explosent sur le port. Jeanne avec courage va s’enquérir de la situation auprès des voisines du quartier de l’Oasis. En ce dimanche après-midi, sa fille Jacqueline âgée de six ans est effrayée par l’arrivée d’une momie. Jeanne doit tenir, elle envisage toutes les possibilités. Charles rentre le 10 novembre, il lui raconte ces trois jours d’enfer et sa colère que le discours sur radio Londres de Churchill ne va pas apaiser. Jeanne est heureuse de le retrouver en vie. Cela suffit à son bonheur de l’instant.

 Justification : Démontrer la force intérieure de Jeanne qui ne dévoile rien de ses angoisses, psychologiquement attachée à Dieu et au bonheur de retrouver Charles, son mari.

                                                          Registre: Polémique

Quartier Beau-Séjour, Casablanca, le huit novembre dix-neuf cent quarante-deux.

Opération Torch

 Un sifflement, un vrombissement, je pense être en train de rêver lorsque Charles saute du lit précipitamment.

– Merde, c’est une attaque aérienne !

– Jacqueline a entendu et nous rejoint en pleurs

– Mon mari enfile sa tenue, vise son péchie et court à l’extérieur prendre son vélo.

 Il a juste le temps de me dire « trouve une maison avec une cave pour vous protéger ». Désormais, le bruit des avions est continu. Juste avant que le portail ne claque et qu’il disparaisse, il me crie, « Madame Sautere, Jeanne Sautere, cave ! »

Jacqueline se tient à ma jambe terrorisée par le bruit des explosions, je n’ai le temps que de lui murmurer « Fuir ! » Je demande à ma fille de se calmer, alors que je ne sais plus ce que je peux faire. « Sortir avec Jacqueline et risquer nos vies ? « Il est huit heures trente, le bruit des canons, des bombes, des obus, des torpilles est incessant. Il faut que je sache, j’ose ouvrir la porte, alors qu’un avion se dirige à basse altitude vers l’escadre française accosté le long du port. Des volutes noires, épaisses s’envolent vers le ciel azur de ce dimanche matin. J’en ai assez vu, je ferme la porte en pensant « quelle sale guerre ! »

Pour occuper Jacqueline après le petit-déjeuner, je lui propose un jeu, monter faire nos valises.

– Jacqueline, tu es grande, je te sors ta petite valise et tu la remplie de ce que tu préfères comme habits, sans oublier ta poupée . Mais, elle doit pouvoir se fermer sans difficulté. Maman va faire pareil, et nous verrons qui est la plus rapide !

 Ses boucles blondes tracent une lame d’air imperceptible en direction de sa chambre. Elle ouvre le placard, sort les vêtements et à voix haute choisis : « oui, non, s’il fait chaud, pour dormir ! »

Je sors ma valise noire en cuir, acheté lors de mon départ de Jungholz. Je ne me presse pas, alors que le nombre d’avions survolant le centre-ville semble s’accroître. Charles est là-bas, sous le feu de la guerre. Instinctivement dans ma robe, je sors mon chapelet et demande grâce à Dieu, tout en lui demandant de me rendre mon époux, sain et sauf.

– Maman, on doit partir. J’ai terminé !

–Non, Jacqueline pas tout de suite, en attendant pose-la sur ton lit, et on va faire un gâteau et chanter la dernière comptine que tu as apprise à l’école.

 Alors que Jacqueline malaxe la pâte, un joli tablier blanc noué autour de sa robe bleue, des bruits résonnent à l’arrière de la maison.

 En ouvrant, je découvre, madame Rauteg notre propriétaire, le regard fixe, le visage crispé de peur. Je la tire par le bras pour la faire entrer.

– Mon dieu, quel risque avez-vous pris, avec ce qui se passe !

– Madame Hetzel, je voulais m’assurer que vous alliez bien, vous et votre fille ! Mon mari est également parti sur son bâtiment, il n’y a plus que des femmes dans le quartier. S’ils décident d’attaquer la ville, Madame Sautere est la seule à posséder une cave. Jeanne, Madame Lictenberg sait conduire, son conjoint lui a appris. S’il faut fuir, la voiture est la meilleure solution !

– Madame Rauteg, savez-vous quelque chose sur l’attaque, est-ce une offensive allemande ? La voiture est un point facile à cibler depuis un avion, je ne m’y risquerai pas avec une enfant. Je sais, il me semble que oui, la radio ! Je n’ai pas de radio, peut-être que des informations circulent sur les ondes !

– Qui a une radio ? La famille Bergmann, je crois. Restez là, je vais y aller. Je vous tiens au courant !

 Soudainement, j’admire la loyauté de cette femme. Elle s’est maquillée malgré le chaos. Je la raccompagne alors que son regard pointe le ciel avec angoisse. Jacqueline m’appelle :

– Maman, j’ai terminé, on cuit le gâteau ?

« Cuire le gâteau ! voilà une chose à laquelle je n’ai pas pensé. Si je mets le fourneau en route, même problème que la voiture. La fumée donnera un endroit à cibler.

– Plus tard, on va mettre le récipient dans le garde-manger. La pâte sera reposée. Je vais faire les devoirs d’école avec toi.

Intérieurement, je me contenais, mais j’étais pétrifiée par les coups sourds et réguliers des explosions. Pour ma fille, je devais rester forte, ne rien montrer. Pour Charles également.

Alors que j’attendais madame Rauteg, vers quatorze heures, on frappe à ma porte. Jacqueline me devance. Je l’entends crier. Elle se réfugie dans ma robe noire à fleurs blanches. Dans le bâti dormant, une ombre se tient droite, immobile. Les rayons qui la transpercent lui donnent un air terrifiant.

Ma fille marmonne “Une momie”. D’effroi, la main sur la bouche pour étouffer mon cri, j’avance vers l’entrée. La momie parle :

– Madame Hetzel ! Jeanne, c’est moi, le timonier Tavernier Jean !

Rassurée, je m’approche. Je souffre pour et avec lui. Les bandages autour de son crâne lui donnent un aspect de revenant. Le contour de ses yeux souligne la peau brûlée de ses joues. Les sourcils et les cils absents rendent son regard bleu bien sombre malgré la clarté de cette journée. Son uniforme bleu est délabré, fumant encore par endroit, me semble-t-il. Il passe le dos de sa main noircie sur son front. Un lambeau de chair se sépare laissant apparaître la brûlure profonde, violacée. Il empeste le mazout. Il ne reste plus qu’une moitié de pompon rouge sur son béret. Des effluves de peau carbonisée et de pétrole parviennent à mon odorat.

– Jean, que faites-vous là ?

– Votre mari Charles m’a demandé de vous avertir qu’il ne peut rentrer, qu’il n’est pas blessé. En tant que chef mécanicien, il a pour ordre de manœuvrer afin de sauver le torpilleur Tempête, Madame !

– Pas blessé, Dieu vous garde. Vous avez subi des pertes ? Qui nous attaque ainsi ?

– Oui madame, sept marins ont péri dans la frappe. Un incendie s’est déclaré sur le bateau. Les Américains et les Anglais, d’après L’ Amiral Prache. Un message codé sous le nom d’opération “Torch” a été intercepté juste avant le début de l’invasion. Ils ont débarqué de Saïd et du Maroc. Ils veulent notre allégeance à l’Empire britannique. Il faut que j’y retourne, Madame !

“Les Américains, les Anglais bombardent nos bateaux, pourquoi ? Ils tuent nos braves marins, alors qu’il pourrait s’allier à nous, Français ! ils pensent que nous avons pactisé avec le diable allemand. Mais ici, nous sommes souverains, c’est la France qui est sur ses terres. Le gouvernement de Vichy est à Paris. Dieu, je te conjure de faire en sorte que Charles revienne sain et sauf !

Ma fille est intenable, agitée. Sur le balcon, elle regarde les avions larguer leur bombe sur les navires accostés au port de Casablanca.

Là, loin sur la mer, des canons tirent et tirent encore, vers l’armada française. Les éclats de feu se confondent avec le soleil qui irradie les vagues de la Méditerranée. Ils attaquent de tous les côtés. Par voie maritime, par air. Sur ma droite, des blindés, dont le cliquetis des chenilles sont à peine couverts par l’explosion des pavillons. C’est une vision qui m’horrifie. Ma peur, je la sens plus que je ne l’entends, sous le bruit assourdissant de la guerre qui rugit à six kilomètres d’ici.

Enfin, vers dix-huit heures, les tirs et largages se sont estompés. Je n’ai pas dormi de la nuit. J’ai pensé qu’il était arrivé malheur à Madame Rauteg. Elle n’a pu me rejoindre que le lundi après-midi avec le quotidien ‘Le petit Marocain’ qui relatait l’attaque des alliés contre la Marine française.

J’ai fait les cent pas durant trois nuits. La journée, je guettais le retour de mon mari, j’essayais d’occuper ma fille tout en échafaudant toutes sortes de fuites. Et surtout, comment prévenir Charles de notre destination ? Rentrer en France, comment ? L’assaut était généralisé. Aucune échappatoire, les blindés quadrillaient le quartier. La mer était un champ de feu noir. L’azur, une multitude d’oiseaux explosifs. Coupé du monde, nous étions !

Le 10 novembre vers 11 heures, les bombardements et survols de Casa ont cessé.

J’ai pris Jacqueline avec et en courant nous sommes allés voir madame Bergmann, espérant naïvement que la radio annoncerait le nom des marins morts ou du nom des navires coulés. Elle n’était pas chez elle. Au retour, les voisins du quartier commençaient à sortir dans la rue, encore méfiants. La plupart aller en direction du Port Lyautey. Avec Ma fille, non, ce n’était pas un spectacle pour une enfant. ‘Jacqueline, dépêche-toi ! si papa revient et que nous ne sommes pas là, il va nous chercher !’

De retour, je prépare le repas, lorsqu’un éclair de lumière pénètre sur le sol de la cuisine. Je sursaute, une ombre s’approche, je lâche la cuillère :

– Charles ! Mon Dieu, tu es blessé ?

– Non, c’est le sang de mes camarades. Jeanne, je ne reste que pour changer de tenue et me rafraîchir. Nous avons capitulé devant ses traîtres qui se disent nos Alliés et nous attaquent sans crier gare !

– Papa, tu es tout sale, tu as réparé le bateau ?

– Oui, Jacqueline, ne me touche pas avec ta jolie robe blanche, je te fais une bise après mettre laver. Tu as était sage avec maman ?

Sans attendre sa réponse, Charles se rend dans la salle d’eau, pour se laver. J’avais besoin de comprendre pourquoi son regard était aussi sombre.

– qu’est-ce qui s’est passé, Charles !

– Jeanne, une hécatombe de valeureux marins, voilà ce qui s’est passé ! Un obus est tombé place de France, alors que j’allais au port. J’ai été éjecté du vélo, j’ai couru aussi vite que je pouvais. Sur le port, c’était un déchaînement de feux de tous les côtés. J’ai réussi à prendre un canot pour monter sur le navire qui était touché. Des voies d’eau, l’équipage de quart, tous mort ! Jeanne, trente marins français ! Mon officier Kelman, coupé en deux. Jacques, la nouvelle recrue, décapité. Jeanne c’était un cauchemar. Qui va annoncer aux familles les décès ? Et mort pour quoi ? Pour la France ? Tuer par des Anglais ou des Américains, alors que le gouvernement de Vichy est à Paris. Ils croit quoi, tous les gouvernants ? Que les marins se rendront le canon baissé aux Allemands ou quelque nations autres que ce soit !

 Je ne pouvais que l’écouter, il était encore dans l’action. Je lui fis part des nouvelles que j’avais eues par madame Rauteg et Charles explosa :

–Noguès, Churchill, Darlan, des faibles qui ne connaissent pas les valeurs de la Marine française. Des incultes planqués dans des bureaux capitonnés pour ne pas entendre les cris des morts aux combats. Jeanne, ils sont dingues, malades. Tout marin sait et apprend que s’il est fait prisonnier, jamais, tu m’entends, jamais, il ne laissera son navire à l’ennemi, jamais ! Plutôt le détruire. Tu devrais voir tous les corps qui flottent. La mer est rouge de sang, noire de colère. Et maintenant nous sommes sous les ordres des Britanniques et des Américains. Mais, ils nous laissent le choix, trop généreux ! Soit nous rentrons en France, soit nous nous rallions à eux. Depuis le début de la guerre, les marins sont unanimes sur un point, jamais ils ne laisseront quelques matériels aux Allemands, mais ça en hauts lieux, ils ne peuvent comprendre. Ils règlent leurs suprématies en trahissant leurs alliés depuis toujours. Si j’en avais un seul sous la main, je !

– Charles, tu es en vie, c’est tout ce qui compte pour moi et pour ta fille !

 Il se retourne, je vois ses yeux reprendre leur couleur naturelle. Il s’essuie et m’embrasse. Je le serre aussi fort que je peux et lui chuchote ‘trois jours d’enfer pour toi, pour nous, et nous sommes réunis. Charles, Dieu veille sur nous !’

– Tu as raison, Jeanne. Il faut que j’y retourne.

Charles s’arrête devant Jacqueline l’embrasse, lui dit qu’il va revenir très vite, et quitte la maison. Je le regarde s’effacer, dans l’ombre de la porte qui se ferme. Même en colère, il reste mon mari affectueux et attentionné.

À toi !

Tu naîtras un jour comme un autre, tu découvriras, tu testeras, mais surtout, tu grandiras.

Tu imagineras un futur possible, tu échoueras nombre de fois, et tu douteras.

Tu espéreras vivre sans mots de trop, sans trop de silence, sans brûlure, sans douleur, tu entendras que rien n’est de ton fait.

Tu regarderas l’horizon soudainement avec sérénité, tu inspireras ta vie, celles des autres, tu expireras l’empathie de ton cœur, mais surtout tu aimeras.

Tu comprendras que rien n’est éternel, tu pleureras sur ce qui s’est éloigné, tu accepteras que ce soit dans l’ordre des choses.

Tu te relèveras avec de nouvelles questions, tu expérimenteras un autre chemin, les doutes en sac à dos, parfois trop lourds.

Tu te lèveras avec cette perspective floutée, tu testeras une probable route, inexorablement, tu avanceras.

Tu apprendras que ton temps est éphémère, qu’il te presse d’agir en conscience, mais tu te laisseras du temps.

Tu entendras une aspiration à flotter en douceur dans l’aiguille du temps, tu choisiras de ralentir ton pas.

Tu décideras de jeter aux orties tout souvenir vain, toutes fractures soignées, tu te relèveras.

Pour enfin choisir ton horizon, ta vie, ton souffle, ton corps, tes pensées, mais surtout ton rythme, tu décideras ce qui n’est plus à toi.

Tu me parleras, je t’écouterai pour qu’ensemble nous brûlions cette bougie dans l’incandescence de sa flamme.

Tant, trop, peu, tout à la fois!

Elle est être, sensation, rigueur et douceur. Mais qui est donc la fille aux yeux clairs ?

Certainement une âme qui gonfle comme le voile agrandi par le vent. Bien sûr, elle parle à cet instant de son cœur qui surmonte toute la douleur de la vie avec la dureté dans le regard.

La fille à la peau pâle n’est pas une chimère. Elle est devenue matière à force de vouloir être en entier. Et pourtant des ombres dansent autour d’elle, jamais lasses de la torturer.

Elle sait qu’après la pluie, le soleil reviendra. Alors elle laisse passer le noir, jusqu’à qu’il déteigne sur l’horizon éclairci.

Elle est d’origine indéterminée, pourtant avec ou sans couleur, sur sa peau qui frissonne, le souvenir d’un pays est inscrit dans ses gènes.

Elle fait partie du monde. Elle est internationale comme son aimant qui accroche tout ce qui est doux et qui la rassure.

Elle est joyeuse, trinque souvent à son espoir sans matérialité. Elle a juste besoin de se remémorer un souvenir connu. La sincérité doit exister quelque part ! Peut-être dans son noyau ?

Un regard sur ses années passées lui fait chanter : « Jamais, je ne reviendrai, que la route soit plus en avant, sans regret ! » Dans son reflet sans miroir, elle s’extasie devant un cheveu grisonnant sa jeunesse. Par défi, elle le cache dans la couleur de sa vie, aussi colorée que ses choix, aussi lumineux que son sourire.

Elle chicane la ride au bord de ses yeux l’obligeant à se marquer plus en profondeur. Elle n’a pas envie de s’alourdir sur ses propres années. La légèreté comme une manivelle qui la conduira plus loin.

La fille tenace ne se serre que dans son jeans, la taille de guêpe est une rondeur personnelle. Là ! Les autres peuvent bavasser sur ses choix vestimentaires. Elle en a vu, entendu d’autres. Jamais ‘comme il faut’ dans le regard des envieux qui jalouse son énergie irradiante.

Elle le sait, elle est tout, elle n’est rien parfois, et pourtant elle est tant d’autre chose. Insondable, elle pense bleu, elle choisit du rose.

Elle veut un café, elle prend du chocolat. Le mouchoir en main, elle se demande pourquoi l’eau de la mer s’écoule de ses yeux.

Elle est tendresse à qui lui tend les bras. Elle est dureté à qui l’a chagrinée. Elle est dans l’univers comme une étoile filante. La retenir, c’est se brûler de chaleur humaine, les doigts, la tête.

Elle est la seule à pouvoir changer un ciel sombre en couleur d’infini. Là ! Est la force unique d’un être qui saisit l’humanité à bout de bras pour l’aider à faire les bons choix.

Elle prend souvent des marteaux pour planter des graines, ou des clous. Elle sait que son corps n’a que l’apparence d’un oisillon faible. Dans sa capacité, si elle le veut, elle peut ! Avec sa rigueur pour y parvenir, peu importe le temps qu’il faudra. Il n’y a qu’à découvrir et tester ce qu’elle ne maîtrise pas. S’arrêter ! C’est se compromettre dans sa valeur.

Elle est tant et peu à fois, que souvent, elle doute de ses choix, parce qu’elle voudrait oser aller au bout de son aimant qui attire tout et n’importe quoi. Du pire au meilleur, elle sait qu’une décision est obligatoire si elle ne veut pas mourir dans la terre lassée d’eau.

Elle est ingénieuse, heureuse, lorsqu’autour d’elle dansent les parasols aux vents. Elle attend que la route s’ouvre en grand pour avancer, créer, aimer, faire des choix. Jamais elle n’a peur, sinon un petit peu dans le noir.

Elle n’aime pas être seule. L’humour ironique sur sa propre maladresse. Elle en rit pour que chacun reste dans une légèreté d’envie de faire des gaffes. L’humour est un beau pied de nez à la lourdeur des erreurs.

Lorsqu’elle grandit de rondeur, elle est plus encore. Elle devient l’obole blonde de la lune, imaginant les premiers pas de l’être à venir, attendant avec patience son premier mot qui l’a nommera « maman » et qui l’amènera à créer plus encore pour s’opposer au pire grâce à son cœur gonflant d’émotion devant sa création. Elle le sait, il faudra résister encore à tous ces tracas. À son angoisse de mal faire. Sa peur de mal aimer. Son angoisse de ne pas être aussi parfaite que cela.

Elle est imagination dans le creux de la chanson qui cadence ses pas. Elle est chemin de vie à qui la suit. Elle est entière, ancrée dans la terre comme la racine des arbres.

Elle sait résister aux tempêtes. La douleur elle l’a prend, la transforme en nuage voyageant plus loin que toute sa pensée.

Elle voudrait dans la couleur de ses yeux étreindre toutes les larmes de ses enfants, que jamais ils ne souffrent, mais leur apprenant la vie au bout des doigts, dans un dernier sanglot, elle ne montrera qu’où la dernière étoile peut s’attraper sans peine pour encore désirer varier la couleur du ciel, espérer changer l’incroyable d’une vie qui s’éloigne de son sens de naissance.

Elle comprend que l’avenir n’est plus qu’un bout d’elle, qu’il reste le plus important à transmettre. Dans un rire joyeux, elle serre dans ses bras et fait découvrir cette empathie qui est inscrite dans son cœur. Elle dessine un chemin pour voir plus loin cette ligne d’humanité.

Elle tout à la fois, si peu, et tant. La femme dans son esprit saura résister et montrer la voie lumineuse aux plus sombres. Elle révélera les couleurs qui illuminent les pupilles d’un éclat de vie aimante.

Elle est tant et peu à la fois. Elle est unique, multiple, gaie, triste, aimante. Le cœur vaillant, l’esprit clair. Dans son corps, la pépite qui palpite est un aimant puissant. Elle est la raison de l’humanité. Le reflet de l’empathie, souvent résiliente. La compassion comme argument.

Elle est tout et tant à la fois. La femme chevillée dans son corps. Elle restera avec sa féminité, ses sentiments. La ligne de demain en point de mire. Elle sera l’avenir, le passé, la volonté, la rigueur, la douceur tout à la fois, parce qu’elle n’a jamais su faire à moitié.

Non ! Elle est tout à la fois, en entier à l’intérieur comme à l’extérieur et tant pis pour ces hommes qui ne la comprennent pas. Elle a son avenir dans ses mains, elle est sa propre destinée, elle est l’humanité.

Dix pieds sous terre

Le 25 janvier 2035 : Le petit grandit. Ses pieds dépassent du lit de camp. Sa chair mute, une nouvelle excroissance gris-argenté est apparue dans le dos. Sa mâchoire inférieure se transforme en triangle inversé. Des dents en lames longues et violettes apparaissent lorsqu’il sourit. Il a une habilité à évoluer intellectuellement. Je le crois capable de lire mes pensées. Il n’a que deux mois de vie. Comment est-ce possible ?

– Grand-père ?

– Oh ! tu es réveillé, Luc !

– Qu’est-ce que tu écris ?

– Rien, disons que j’écris des souvenirs d’avant !

– Raconte-moi encore une fois, le Far West, les cow-boys, les troupeaux de bétail !

– Luc sort d’abord le périscope et dis-moi de quelle couleur est le soleil aujourd’hui.

Luc tourne la manivelle au fond du bunker, cale son globe oculaire dans la lunette.

– Vert teinté de gris aujourd’hui !

– Le sol ?

– Il est gris-blanc avec des taches noires. Elles ont augmenté depuis hier !

– Plus nombreuses que la veille ?

– Non, analogue. C’est leur circonférence qui a augmenté !

Luc s’installe sur la couchette. Il s’endort. Il faut que je note que son œil droit se métamorphose. Un embryon remplace l’iris. Une forme primitive de vertébré apparaît. Si je me base sur les anticorps de sa mère, ils limitent sa modification. Il doit rester un mois avant sa métamorphose définitive ou son explosion en poudre. Le temps est compté, il faut que je trouve rapidement un antidote pour stopper ce processus.

Il y a deux mois dans mon laboratoire, l’assemblage de toutes ces drogues. L’idée de concentrer leurs molécules psychoactives pour créer une super bactérie contre les addictions. L’étude Velocette devait porter sur la capacité des bactéries à libérer dans le corps des molécules psychoactives. Les mécènes de Davos avaient pris leur part dans cette recherche destinée à trouver le moyen d’éradiquer la consommation de drogue. Quand j’y repense, cela me paraît illogique. Fournir à un camé une bactérie qui reproduirait, comme une pompe à insuline pour diabétique, sa dose journalière. Tout ça pour quoi ? Éradiquer le trafic et le blanchiment d’argent. Une belle manne financière pour tous ces despotes de l’industrie pharmaceutique. M’ont-ils fourni du mauvais matériel ?

Une putain de soirée d’hiver, j’ai injecté dans le noyau d’une seule bactérie ce cocktail de crystal, d’héroïne, de méta-amphétamine, de cocaïne, avec la pire de toutes. La spice. Quelle erreur !

Mon assistant était chargé de m’avertir au moindre changement. Dans la nuit, mon téléphone a sonné, j’ai entendu, un nasillement de cow-boy que je n’ai compris qu’une fois devant le laboratoire. Les alarmes sonnaient. J’ai eu le temps de revêtir ma combinaison de sécurité. Sur la porte, une botte à bout pointu et talon haut de Momo avait fracturé la vitre. Une masse blanche aérienne envahissait la pièce. Ça respirait, ça pulsait, ça enflait. J’ai fui, il n’y avait plus rien à faire.

En deux heures, toutes les rues ont été enveloppées d’une poudre blanche qui ne cessait de se multiplier. J’ai couru à la maternité pour sauver ma fille Léna qui venait d’accoucher. À l’entrée de l’hôpital, un patient qui attendait a triplé de volume, une odeur âcre, putride se dégageait. Son ventre a explosé sur les murs en même temps que ses os fondaient en un liquide visqueux. Sa chair se rassemblait et recommençait à gonfler et à se modeler. Devant la chambre de Léna, son corps s’est déchiqueté. J’ai couru à la nurserie pour prendre mon petit-fils né deux jours plus tôt. J’ai poussé la couveuse comme un caddie. Dans la pièce voisine, un père essayait de sauver sa descendance. Il poussait la couveuse avec ses jumeaux. Il n’a pas eu le temps de franchir la porte. Un « pok », comme une bouteille fermentée qui explose s’est éparpillée sur les murs jaunes de la maternité. La bactérie mutante détruisait déjà les tissus des nourrissons. Ce n’était qu’une question de seconde avant qu’ils explosent eux aussi. Un bunker était la seule protection possible. Si je ne m’en étais pas souvenu, Luc serait également mort.

Il ne faut pas que mon petit-fils ait conscience de son apparence, il ne le comprendrait pas. Je suis un monstre. Il ne me reste que lui comme sujet d’étude pour essayer de comprendre pourquoi il n’a été atteint que partiellement. Je ne peux qu’observer ses changements. Mon petit-fils est un assemblage de poisson, d’insecte, de serpent, d’humain. Tout est mélangé et s’agrège. Il faut que je voie ces stigmates. Mon regard vissé sur l’horizon gris. Le soleil est vert, des nuages ocre sont poussés par un vent blanc. Le long de la rive, des roseaux morts s’agitent sous le vent poussiéreux. Un poisson à poil noir saute la berge et plonge dans l’eau poussiéreuse de la rivière.

Devant mon bureau, je repense aux papes de la science, de leur fierté de me savoir nommé parmi les favoris pour l’attribution du prix Nobel de science. Les gros titres des journaux nationaux seraient occupés pendant un temps par cette découverte prometteuse. J’aurai fêté l’annonce du prix au Korova Milkbar. Rien que ce nom paraît irréel. En compagnie d’éleveurs à grains qui nous serviraient une boisson à quarante degrés brûlant le tube digestif avec l’approbation de l’État. Alors qu’aujourd’hui, ce n’est plus qu’un pays dessiné en erreur monumentale. Mon erreur !

– Grand-père, tu t’es endormi à ton bureau. J’ai une surprise pour toi !

– J’ai les neurones dans mon soulier gauche, Luc !

Il se tient devant la table, le torse bombé d’écailles noires, le sourire brillant des lames acérées. Il tient dans sa main une tête par une touffe de cheveux d’algues grises. Les orbites pleurent des asticots à tête de rottweiler qui montrent les crocs. La mâchoire en dorsale de requin s’agite. Elle parle, j’étouffe un cri d’effroi.

– Bonjour, papa ! As-tu bien dormi ?

– Léna, c’est un cauchemar !

– Non, c’est ta réalité. Après mon explosion intérieure, ils m’ont enterré aussi vite qu’ils le pouvaient dans un caisson métallique. Mais, je ne pensais qu’à l’enfant que j’avais mis au monde. Depuis deux mois, je l’appelle. Il m’a retrouvé. Mon fils ! Toutes les nuits, pendant ton sommeil, il est venu me déterrer. Cela a pris un sacré temps, tellement ces bâtards ont creusé profondément. Ne sais-tu donc pas qu’un enfant reconnaît la voix de sa mère dans l’univers ? Tu es intelligent, mais ignorant de l’inné de l’enfant. D’ailleurs, Luc m’a fait part de ton expérience Velocette . Ton intelligence a détruit nos vies et tu te caches avec MON FILS dans un bunker de dix-neuf cent quarante-quatre. Allons, père ! Tu pensais que je n’allais pas chercher à retrouver la chair de ma chair ! Regarde à l’extérieur, tu crois qu’ils sont morts, mais non, ils crient sous la terre. Ceux qui ont été touchés par ton expérience grattent la terre d’un bout d’os particuliers pour retrouver la lumière. Les flaques noires qui avancent s’étendent, c’est eux ! Ils viennent te chercher parce qu’ils savent que tu es responsable de leur état. Ils sont morts de faim. La bactérie droguée, se recréée indéfiniment. Mon fils ouvre le coffre que l’on voit ce que tu écris tous les soirs. Oh ! Tu as dessiné Luc. Mais ne sais-tu pas que l’on ne ment pas à un enfant ? Tu l’as dessiné en petit garçon au corps parfait. Pourtant dans le reflet de rétroviseur, je vois un hybride, un mutant, un monstre. Pas mon bébé ! Mon cher papa, allons faire un tour dehors, voir comment ta chair se putréfie. Admirer ta terreur et contempler comment ta Velocette qui crève de faim te bouffe ! Allons nous amuser dans ce Nouveau Monde. L’air y est si pur, le ciel si blanc.

Acrobaties étoilées

Dans le royaume de Circom, une reine cherchait sa liberté dans le reflet d’un miroir usé par ses liens. Elle figea son regard sur le corps fissuré du verre rayé cherchant une trace de son voyage dans le passé. De l’index, elle toucha l’endroit où rien ne se reflète plus.

Une porte s’ouvrit dans l’esprit de la reine comme le tiroir d’une commode. Dedans il y avait des choses en vrac. Pas de chaussettes ! Non, quelque chose de plus voluptueux. Semblable à une chimère de rocaille en apparence.

En dessin, elle s’imageait sur son iris. Cette chose dont maintenant elle se souvenait. Sans corps, identique à un nuage transparent. Pourtant cette image sans fondement laissait entrevoir une profonde évidence.

La reine tira un fil de couleur derrière son miroir. Elle choisit le bleu, mais le rouge vint également. Plus le fil se déroulait, plus les couleurs variaient. Au bout de la pelote, des kilos de laine se couchaient sur le sol en pierre froide de sa chambre.

Délaissant le reflet de son visage, elle contempla les fils de toutes les humeurs. Elle se souvint qu’avant d’être reine, elle était enfant insouciante remplie de rêves multicolores.

La reine ramassa l’ensemble, ouvrit sa fenêtre et jeta le tout sur son royaume alors que la nuit noire avait emporté tous ses sujets dans un sommeil profond.

« Quitte à être multicolore, autant l’envoyer au-delà de moi-même ! » se dit la Reine. Une chaumière plus bas allumait déjà une bougie. Le voisin fit de même. Au bout de dix minutes, tout le village fut illuminé.

Chaque être sortit de son sommeil aussi naturellement que si le jour était levé. Sur le perron de leur chaumière, les habitants levèrent la tête en direction du ciel nocturne.

Ils découvraient qu’aux étoiles des fils colorés s’y étaient accrochés créant un arc-en-ciel infini.

Sous la fenêtre de son château, le regard illuminé par des milliers de couleurs dans le ciel, les habitants étonnés, observait en silence ce phénomène.

La Reine empoigna la chance de choisir son instant mémoriel de liberté. Elle choisit un fil vert. S’y accrocha d’une main. Elle enroula le second de couleur orange autour de sa main droite. Elle commença à se balancer d’avant en arrière dans le vide. Perchée dans le ciel, elle fit une acrobatie que chacun scrutait avec émerveillement. Le temps d’une nuit, la reine se transforma en acrobate sur fils multicolores.

Les fils sont toujours accrochés dans le ciel. En tendant la main vers les étoiles, vous en attraperez sûrement un.

Gamin

Tu cours en riant, les joues rougies par le froid, tu sautes dans une flaque les jours de pluie. La nuit, tu t’endors en rêvant que ton ours en peluche te parle.

Mais oui, il te parle. Tes questions sont importantes. Au goûter, tu avales ton cacao avec un plaisir certain, le morceau de pain cale ta faim. Tu souris devant ce qui t’attend. L’école est une grande cour de récré où il faut juste être un peu sérieux pour ne pas avoir de punition. Tes copains sont aussi fous que toi, alors la légèreté l’emporte sur cette obligation.

En rentrant, tu comptes les pavés à cloche-pied. Ton équilibre similaire à la bravoure, rien ne te fait peur. Sur le muret, tu grimpes, histoire de voir la vie plus en hauteur. Lorsque tu seras grand, tu seras tellement fort qu’aucun mur ne t’arrêtera.

Tu attrapes une coccinelle pour l’observer et tu la laisses déployer ses ailes pour s’envoler. Tu espères pouvoir voler un jour comme sur le manège qui t’emmène vers les nuages. Tu es libre comme l’air. Les contraintes n’ont pas de réels sens pour toi. Chaque jour, les nouveautés t’émerveillent. Tu cherches à découvrir toujours plus vite. Tu sautes la rivière comme un pirate qui doit récupérer son galion échoué sur la berge. Ton bâton comme une épée, tu défies quiconque de te battre en duel. Tu le sais, tu seras le vainqueur.

Dans le champ, tu scrutes les cailloux pour ramasser le plus beau, lisse ou brillant. Rangé dans ta poche déformée, une fois dans ta chambre, il ira dans ta collection de belles trouvailles. Tu regardes la diversité des papillons se posant sur une fleur, tendant tes deux doigts pour l’attraper et pour le libérer avec de la trace sur tes doigts de poudre d’ailes. Tu imagines que c’est de la poudre magique capable de te faire voler.

Un fruit te fait envie, tu sautes pour le cueillir. En le croquant, tu tapes dans un caillou pour le valdinguer aussi loin que ton regard. La poussière sur tes chaussures trace l’empreinte de tes pas sur ce chemin. Le regard à l’horizon, tu le sais, tu seras grand. Comment pourrait-il en être autrement ? Tu espères comprendre le monde qui t’entoure comme aujourd’hui, tu le vois. Tu le sais, de la patience, il en faudra. Avec innocence, tu imagines la pluie tomber pour pouvoir à nouveau sauter dans une flaque d’eau comme le gamin que tu es à cet instant.

Mais voilà dans deux secondes, tu ne sauteras plus jamais dans cette flaque que tu dessines dans ton imaginaire. Ta légèreté va s’envoler pour laisser place à la sidération de l’acte d’une arme guidée par un homme qui pourrait être ton père. Tu comptes un, deux. À trois, te voilà estropié pour le reste de ta vie. Tes jambes déchiquetées par l’explosion de cette bombe.

À des milliers de kilomètres de là, chacun voit ton désarroi de te retrouver amputé de ton avenir. Le gras des reporters ne transpire que la primeur d’avoir été là au bon moment. Ce moment où ton avenir a été coupé en deux.

Cette guerre n’est pas la tienne. De ton jeune âge, tu ne cherches pas la raison de celui qui a raison ou tort. Tu essaies de percevoir ce que demain pourra être pour toi. Chacun se presse devant ton malheur alors que ton regard n’exprime que la lassitude d’être soudainement médiatisé. Il y a des pudeurs très vite oublié. Cette pudeur, reflet de respect d’une vie, plus que d’un corps, d’un fait, d’une douleur. Sur ton lit d’hôpital, tu fermes les yeux refusant de comprendre l’intérêt de ces hublots qui envoient plus loin ton état. Tu fermes les yeux espérant effacer cette instrumentalisation médiatique. Cette guerre, ce n’est pas la tienne. Toi qui rêvais simplement de sauter dans une flaque d’eau imaginaire, au milieu de ce désert.

Tu te rends compte qu’il n’y a que les bombes qui sautent dans les flaques d’eau. Celles-là mêmes qui coupent les jambes de ton avenir. Pourquoi ? Parce que le cœur des hommes a oublié la légèreté de sa propre enfance. Certainement asséchée par la rigueur de ce désert. Il a oublié ton innocence de gamin.

Le temps d’un verset

Sur la route de mes pas, mes grains se dissipent en farandole !

Mon enveloppe sans destinataire, l’empreinte n’est que trait fin !

Dieu, comment fais-tu ? Dieu, donne-moi un peu de raison !

Ma peau espère toujours. Dans un tremblement, elle se souvient

Que de chaleur humaine, je suis belle, et bien née !

Dieu, prête-moi un rayon. Dieu, que j’espère encore !

Dessiner en arc-en-ciel , les tracas de demain !

L’espoir en bleu de cabosses, en rouge cœur vaillant !

Dieu, que j’ai besoin de savoir. Dieu, que j’ai besoin de croire !

Les yeux fermés, fatigués de ne rien percevoir !

Ma pensée s’évade dans une mélodie rassurante !

Dieu, le temps est passé. Dieu, que je voudrai !

Mon espoir laissé sans reflet, modeler sa corporalité !

En terre brune, grise, coller mes particules effilochées !

Dieu, l’âme est-elle une peine? Dieu, que j’espère toujours !

Civilisation

Il était une fois dans un champ de blé, un épouvantail vêtu d’un long manteau noir, la tête faite de paille roulée. Le sommet de sa tête arborait un chapeau noir, sur le bord, arrondi. Ses pupilles en compacts disques tournées vers le ciel imploraient l’astre nocturne de le sortir de son carcan. En cette fin de saison, le vent changeant commençait à chasser l’été. Ses bras vides de matières dansaient au rythme des rafales. Son pic de bois planté dans le sol semblait avoir abandonné toute vie à ses pieds. La terre labourée attendait patiemment la prochaine saison pour reverdir. Un courant d’air intense passa entre la paille de sa tête lui soufflant une surprenante idée. La nuit venait juste de tomber, le regard vissé depuis de longues années vers la Lune brillante. L’épouvantail la supplia de l’aider à sortir, ne serait-ce qu’un instant, de cette posture statique. Il lui expliqua sa désolation d’être à tous temps exposé jusqu’à l’usure de ses yeux. Prétextant que la torpeur de la nuit endormait naturellement les volatiles alors que lui n’avait aucune possibilité de fermer ses paupières absentes. Il l’implora avec force. La lune fit souffler une brise plus fraîche, pour l’avertir que la chaleur de son vœu était réalisable malgré l’imperfection de sa réalité. Elle siffla à travers ses épis : » qu’il découvrirait la vérité par lui-même. »

Soudain, un nuage dense vint cacher un bout de rondeur de Lune, ternissant encore plus la nuit. Transformant le reflet des mottes de terre, en ombres rampantes, intrigantes et inquiétantes. Dans le ciel, des ombres agitées se rapprochaient. Proches de l’épouvantail, quatre corbeaux en descente vertigineuse entamèrent un piquet. Il soupira, pensant que ces corvidés venaient dormir sur sa croix d’épaules et ainsi l’empêcher encore une fois de rêver.

Un corbeau se posa furtivement sur son épaule et lui susurra : « tu souhaites découvrir la civilisation, nous t’y emmenons ! » L’épouvantail se sentit harponné par ses bras. Son corps de paille se souleva dans l’immensité de la nuit, laissant sa désespérance pour cette fois. Les corbeaux volèrent en ligne droite vers les lumières de la ville à quelques kilomètres de là. L’épouvantail était heureux de parcourir ce chemin qu’il n’avait jamais imaginé comme tel. Arrivés au-dessus des toits et des routes éclairées, les corbeaux desserrèrent leurs serres. L’épouvantail chuta longtemps, très longtemps,tel un pantin désarticulé avant d’atterrir abruptement sur un sol dur comme de la pierre. Son corps fit un unique « flop » au contact du sol. Une poussière d’épi s’échappa de son manteau sombre. La ville endormie n’entendit rien de ce fracas surréaliste.

L’épouvantail se leva légèrement groggy par l’atterrissage. En étudiant son corps, il comprit que la Lune en plus d’avoir exaucé son vœu l’avait doté de la capacité à se mouvoir. Ses yeux plastifiés irradiaient, de traits lasers, les lumières vives de la ville. Il observait le bourg, des maisons en linéaires, les réverbères furieux pointaient eux aussi leur impatience vers le ciel. Il chemina le long cette route. Tout lui plaisait, tout trouvait grâce à ses yeux en pensant à l’intelligence de l’homme qu’il admirait, car il avait su emplir chaque espace d’un objet, de lumières, de quelque chose d’utile à ses yeux. Soudain l’épouvantail sentit quelque chose bouger dans son ventre de paille. Cela le chatouillait et il poussa un petit cri : « Qu’est-ce donc ? »

Une petite tête grise, des moustaches fines autour d’un nez rose, des yeux bruns sortaient d’entre deux boutons de sa chemise. Elle lui dit :

– Épouvantail, tu aurais pu m’avertir de ce voyage. Je suis en train de faire mon nid dans tes épis de blé et toi tu te promènes. Heureusement que ton ventre est suffisamment fourni parce que l’atterrissage était rude. Ne serais-tu pas un peu égoïste ? J’attends des petits, non de dieu !

– Tu as fait ton nid dans mon ventre, comment, depuis quand ?

– Depuis la fin septembre, je travaille dans ton ventre. Tu n’as rien remarqué, obnubilé à implorer la lune. Et puis, il y fait chaud, et quelques grains y sont encore. Je peux me concentrer sur mon travail de future mère. Au moins, je ne risque pas de choisir un épi empoissonné lors de ma quête de nourriture. Dans ton ventre, aucun épi n’a été aspergé de produits mortifères. Tu es trois en un. Alimentation, maison ainsi que protection. Épouvantail, tu es dans la civilisation. Que veux-tu y faire ?

– Découvrir, voyager, vivre, atteindre l’horizon qui me rit au nez, chaque jour. Depuis dix années j’attends. Je vois et j’entends, sans comprendre ces bruits au loin. Tout comme ces points qui bougent sans moi. La civilisation est vie. Dans mon champ morne, je suis transparent. Il n’y a que les corneilles et autres animaux ailés qui s’agacent de ma présence silencieuse dans ce champ.

– N’es-tu pas fou, la civilisation n’est pas faite pour un être comme toi, n’y pour moi. C’est dangereux ici. Même si tout te paraît calme et serein, de grands dangers te guettent.

– Tu racontes n’importe quoi, souris. Tout est calme ici. Calme et beau ! Fais ton nid et laisse-moi découvrir cette ville. Je te tolère en tant que passagère clandestine. Tu ne m’as jamais demandé mon autorisation, alors chut !

– Soit, épouvantail ! je connais trop bien la ville pour me sentir sereine à cet instant. Je vais m’occuper de mon nid. Reste sur tes gardes, car tu n’es plus tout seul.

La souris retourna au creux du ventre de paille. L’épouvantail poursuivit son chemin. Au bord du trottoir, il s’arrêta devant un lampadaire où des papillons de nuit se cognaient. Il s’interrogea sur la raison d’un tel acharnement à vouloir entrer dans la lumière. Il regarda au pied de métal, et vit des corps ailés éteints. Une pointe de tristesse l’embruma. Ne trouvant pas de réponse à ce fait, il regarda vers son ventre et interpella la souris. Elle devait avoir une réponse, car plus érudite sur ce monde qu’il découvrait à peine. Sans sortir de son entre, elle lui expliqua que c’était la lumière qui les attirait. Les papillons impatients aveuglés par celle-ci oubliaient que la lumière est également chaleur mortifère. Ainsi lui disait-elle, « les papillons se brûlent les ailes et terminent au sol pour y mourir. Elle rajouta que la nature n’était pas forcément intelligence, tout comme la civilisation ! » Continuant son chemin, son voyage ne lui ramenait que des points d’interrogation, sans réponses.

Bientôt, l’aube se dessina et la Lune fatiguée commença à descendre son astre, pour s’effacer dans l’horizon pâle du lever de jour. Déjà quelques véhicules pressés d’arriver au bout de la route circulaient, l’épouvantail se dit : « la nuit s’en va ! » Pris de panique devant l’agitation qui enflait au fil des minutes, il interpella la souris :

– Souris, l’aube se lève, j’ai peur. La civilisation s’agite. Je crois que je me sentirai mieux dans mon champ. Toi qui connais ce monde, aide-moi à retrouver mes terres !

– Sais-tu ce que tu veux réellement ? Il y a deux minutes, tu supplies la Lune de t’emmener vers l’horizon et maintenant tu as peur ! Je peux juste te dire de continuer à marcher, tu verras bien où tes pas te mènent !

Ses chaussures mal ajustées raclaient le bitume comme un râle de fin de vie. Au coin d’une rue, un passant promenait son canidé passivement, s’imprégnant du petit jour. Il aperçut une ombre furtive alors que son chien, ayant déjà capté l’odeur de l’étrange, grogna. Une voiture éclaira l’épouvantail furtivement. L’homme effrayé par ce qu’il vît lâcha la laisse de son animal. Le chien courant et aboyant en direction de l’épouvantail ignorait les ordres de son maître. La souris était restée sur ses gardes. En voyant l’ombre qui courait vers eux, elle comprit de suite le danger. Elle ordonna à l’épouvantail de fuir. L’épouvantail se mit à courir aussi vite qu’il le pouvait. Le chien à leur trousse les rattrapait aussi vite que ses épis s’envolaient. Le danger se rapprochait. La souris lui ordonna de traverser la route.

Terrifié, il sauta le trottoir, bifurqua sur sa droite. Au milieu de la route, un bus rouge déboula, la lumière de ses phares l’aveugla. L’épouvantail fut figé dans une posture de terreur. La souris sans attendre l’impact retourna au cœur de son nid.. Bouang, l’impact. L’épouvantail fut chassé de la route par la carrosserie imposante du bus et atterrit tel un chiffon sur le bas-côté. Le chauffeur n’avait rien remarqué.

La civilisation avait repris ses droits. Un bruit de poubelles secouées se rapprochait. Le camion-benne s’arrêta devant le tas d’épis habillé. Le ripeur pestait : « Décidément, les gens jettent vraiment n’importe quoi. Un épouvantail en ville. J’aurai tout vu ! » Il avait beaucoup de travail, en cette matinée. Le ripeur jeta sans ménagement l’épouvantail dans la benne qui le tassa avec sa presse.

En fin d’après-midi, le camion-benne vida son chargement dans une décharge à ciel ouvert, à l’extérieur du bourg. L’épouvantail avec difficulté reprit connaissance. Il essaya de deviner où il se trouvait. Il ne parvenait pas à se lever. Son corps inerte était taché d’immondices visqueuses et liquides en tout genre. Il humait une odeur nauséabonde. Cherchant comment se dépêtrer de cet endroit, la souris sortit de son ventre pour s’enquérir de son état. Elle était soulagée de le revoir certes abîmé, mais en vie. Elle lui expliqua que la raison de son voyage était certainement un apprentissage et qu’il devait attendre la nuit pour interpeller l’esprit de bonté de la lune.

À pas de velours, la nuit faisait tomber son voile sombre sur la décharge. La Lune remontait son humeur dans le ciel alors que le soleil s’effaçait. Les étoiles sillonnaient le ciel obscurci dans une irrésistible apparence d’infini. Les yeux grands ouverts, il observa la Lune s’arrondir. Il l’a supplia : « Aide-moi, je veux retourner sur mes terres originelles, je t’en supplie ! » Un croassement, deux, puis quatre se rapprochèrent, telle une armée bien dirigée, vers l’épouvantail. L’astre l’avait entendue. Il ferma les yeux et expira de soulagement. Il remercia la lune en lui promettant de ne plus faire de vœu aussi irrationnel.

L’épouvantail fut arraché de ce tas d’ordures et l’irrésistible ascension vers le retour aux sources commença. Dix minutes plus tard, il fut lâché sèchement au-dessus de son piquet. Il se retrouva planté à nouveau sur cette terre vide de vie, ses yeux orientés vers la Lune. Elle décida que la sanction du bus n’était pas assez sévère pour ce rêveur impertinent. Avec un fort courant d’air lunaire, elle lui infligea sa sanction. Une rafale sèche et sévère fit tomber la tête de l’épouvantail vers le sol. Désormais, il n’avait que ses pieds à mirer. Quelques semaines plus tard, son ventre s’arrondit. Des souriceaux naîtront bientôt, très bientôt. La vie reprenait son droit, naturellement.

Passeur d’âmes

Au cœur de la nuit, des êtres rôdent sans but.

Las dans leur attitude, le regard orienté vers le sol. Ils errent en transparence.

« La réalité est au-delà de la porte ! » leur expliqua le guide.

« Encore un pas. La clarté est ouverture d’esprit ! Le second servira à entendre ce long chemin sans lien !

Un dernier pour percevoir que nul ne voit en vous ! De vos guêtres vous ferez une mouvance réelle !

Ne criez pas si une douleur vient. Elle a toujours été là. Le sens de votre chair a été un temps annihilé !

Un effort encore. Une vue entière, intérieure sur ce que vous êtes agrandira votre pupille vers votre horizon propre.

Courage ! L’être de vent s’est tu dans l’immensité du mont bleu. Il s’est endormi pour vous laisser une chance de retourner à ce que vous étiez ! »

Le guide les observe cheminer en cadence et lenteur. La tête si basse qu’un mur les empêcherait.

Ces guêtres sans contours francs ne sont que recherche enfouie. Lorsque un franchit le seuil de son errance, il crie.

Ces consorts restent sourds à toute corporalité, douleur, couleur, et sensation.

Le deuxième passe, un cri plus rauque emplit l’espace. La douceur est rude à cet instant.

Le guide passe la tête dans le cercle intemporel.Il constate déjà la transformation de ces âmes sans germe de vie, sans pensées vivantes.

De l’autre côté, elles trouvent avec étonnement des rebords charnels à leur grandeur. Ces corps charnels stupéfaits se regardent.

Le dernier a franchi la porte éphémère. Ils voudraient se serrer dans les bras tellement leur conscience est heureuse d’avoir repris corps.

La pudeur les en empêche. Durant des millénaires, ils n’ont fait que se frôler sans jamais comprendre.

La vue agrandie sur le chemin passé, ils fulminent d’avoir été enfermés si vilement dans ce voile intemporel. Empêchant le moindre regard vers l’autre, tous ces autres.

Le guide les rejoint. Il dicte une formule dans une langue inconnue qui referme l’espace du temps pour toujours.

Il leur dit en simplicité :

« Voyez l’être de chair que vous êtes désormais. Faites-en un usage qui accepte la douleur sans haine. Un esprit contrarié ne sera que possibilité infinie de défaire l’instant de crispation !

De votre contour, irradiez l’énergie de votre présence, sans brûler ce qui est autour de vous !

Ouvrez vos mains en obole pour semer la nourriture de demain !

De votre intelligence, faites grandir l’être plus petit que vous. Ne gardez aucun savoir dans vos prisons cérébrales !

Sur le chemin, semez la frêle semence d’humanité pour construire un monde plus stable !

Laissez votre langue dans votre bouche si le propos est non construit !

Écoutez l’immensité silencieuse qui vous entoure, vous saurez soulager celui qui parle !

Ne vous lassez jamais de ce corps dans sa douleur, elle n’est qu’apprentissage !

Aimez sans rien demander, la moindre particule est votre vie même !

N’oubliez jamais que si vous êtes revenu, c’est que vous étiez déjà ici. Que votre enseignement n’est pas achevé !

Il n’y a pas de destination, il n’y a qu’un chemin. »

Chat’alors !

Au bout d’une route dans un quartier résidentiel, juste avant un terrain abandonné, une vieille demeure se trouvait. Le silence accentuait l’apparent abandon du lieu. Lorsqu’un rideau bougea, laissant une ombre se dessiner. L’instant d’après, la porte s’ouvrit. Une dame âgée vêtue d’un tablier usé et portant un fichu sur la tête qui laissait apparaître de longs cheveux gris s’avança pour offrir un bol de lait au chat qu’elle venait d’apercevoir. Elle l’appela :

– Petit chat, viens boire ton lait, ssui, ssui, minou !

Le chat arriva de son pas feutré, attiré par la douceur de ce breuvage. Elle l’attrapa sans ménagement malgré ses mains tordues. La porte se referma. Subrepticement, les miaulements du chat ne durèrent qu’un instant.

Deux jours plus tard, le mois d’octobre était installé. Les feuilles ocre en tombant froissaient involontairement le calme nocturne dans des bruits inquiétants. Au petit matin, un camion de déménagement animait le quartier. De nouveaux voisins emménageaient dans la maison située en face de celle de la grand-mère. Les cartons de déménagement trônaient sur le trottoir. Une caisse de transport laissait apparaître le nez rose ainsi que des pattes blanchâtres d’un jeune chat tigré . Une jeune fille et un garçon venaient le rassurer à tour de rôle. Le chat miaulait d’impatience. Les nouveaux propriétaires se savaient observés par la voisine. La petite grand-mère surveillait depuis des décennies les faits et gestes du quartier. Mais ce jour-là, ce qui l’intéressait était cette cage de transport. Elle pensait « Hum, hum. De nouveaux voisins. Bipèdes et quadrupède. Intéressant ! » Dans un éclat de rire, son repas prêt à déguster, elle s’installa en face de la fenêtre de sa cuisine pour suivre en direct, l’emménagement.

Pendant leurs deux premières semaines d’installation, Michel et Carole avaient cerné que leur voisine avait un problème d’addiction. Presque tous les jours, leur voisine s’en allait à vélo pour revenir une demi-heure plus tard avec trois bidons de vin accrochés à chaque poignée de son guidon ainsi que sur son porte-bagages. Ils décidèrent de laisser vivre, eux étaient suffisamment occupés par l’agencement de leur demeure.

Une semaine plus tard dans la nuit du samedi soir, un cri aussi bref que lugubre brisa le silence. Carole se réveilla un court instant et se rassura en pensant qu’un renard était certainement en train de chasser. Michel dormait, il n’avait rien entendu.

Le lendemain matin, ce fut le branle-bas dans la maisonnée. Léa et Lucas affolés vinrent réveiller leurs parents. Le chat Chaussette était introuvable laissant l’inquiétude des enfants se parer d’anxiété triste. Devant le questionnement de ses enfants, Michel supposa que le chat était certainement caché dans un placard. Avec sagesse, il demanda aux petits de préparer de quoi sustenter leur chat, leur assurant que s’il avait faim, il viendrait naturellement. Au bout d’une heure de recherche dans les moindres recoins de la maison, Chaussette était introuvable. Michel et Carole savaient qu’il était certainement sorti par une fenêtre laissée entre-ouverte dans la cuisine. Alors que les enfants n’avaient pas encore déjeuné, Michel décida d’aller faire le tour du quartier pendant que Carole préparait le repas des enfants. Ce fut leur premier dimanche animé.

Michel fit trois fois le tour du quartier, sans succès. Il croisa au retour de sa recherche leur voisine toujours affublée de son vieux tablier. Elle n’avait pas vu Chaussette et cela lui semblait bien égal, occupé à poser son vélo alourdi par des litres mouvants.

Au retour, Michel fut assailli par ses enfants qui lui demandaient s’il avait retrouvé Chaussette. Il cernait la tristesse dans les yeux de ses enfants. Pour les rassurer un peu, il leur expliqua que Chaussette retrouverait sa maison sans peine avec un bol de croquette devant celle-ci. Qu’il fallait être patient ! Léa monta dans sa chambre pour pleurer, Lucas aussi peiné qu’elle fit de même. Michel rejoignit sa femme dans la cuisine. Il lui évoqua sa recherche infructueuse ainsi que sa rencontre avec leur voisine d’en face. Les jours passèrent sans Chaussette. Les vacances scolaires avaient commencé. Chaussette n’était pas encore totalement oublié. Son écuelle était toujours sur le perron. La famille supposait que Chaussette avait trouvé meilleur gîte ailleurs.

En ce jour du trente et un octobre, Halloween se prépare depuis seize heures. Carole habille et maquille Lucas et Léa. Ils trépignent d’impatience alors que Michel donne ses recommandations aux enfants. C’est la première fois qu’ils les laissent sortir seuls.

Léa est en jolie fée bleue avec des étoiles clignotantes dans sa robe. Elle tient dans sa main une baguette de fée lumineuse. Lucas, son frère âgé de deux ans de plus qu’elle, porte une grande cape noire. De fausses dents agrandissent sa bouche, rendant les canines de vampire proéminentes. Avant de les laisser partir à la conquête des bonbons, Michel demanda une dernière fois à Lucas de veiller sur sa sœur.

Lucas et Léa s’engouffrèrent dehors avec l’espoir de récolter un maximum de sucreries.

Une heure plus tard, Léa et Lucas se retrouvèrent devant la dernière possibilité d’obtenir des sucreries. Les enfants observèrent la vieille maison, en face de leur propre maison. Léa n’était pas rassurée alors que son frère avait bien vu que le rideau intérieur avait bougé. Il savait que la voisine était là. Il pensa que vu son âge, celle-ci ne résisterait pas à leur donner quelques friandises. Leurs paniers étaient pourtant bien garnis de toutes sortes de bonbons. Lucas s’avança sur le perron alors que Léa restait en retrait. C’était lui le grand-frère. Il devait tenir son rang. Étonné par l’ouverture de la porte d’entrée, Lucas recula d’un pas. Le sourire ridé de la voisine le rassura. Il lui proposa un sort ou des bonbons. Les enfants furent surpris, car c’était la première fois qu’une personne osait demander un sort. Lucas réfléchit très vite. Il demanda à pouvoir visiter la maison.

Depuis que le garçon avait emménagé, de la fenêtre de sa chambre, les jours pluvieux sans école, il observait la maison de l’autre côté de la rue. À dix ans, il se posait des questions quant à la vie de sa voisine. Il l’avait souvent vue entrer dans sa cave avec des bidons souples, sans jamais les ressortir pour les mettre au recyclage. Lucas était naturellement curieux, et cela l’intriguait fortement. Quant à Léa, naturellement timide, elle n’avait jamais osé saluer la voisine lorsqu’elle la croisait dans le quartier. Ses grands-parents, décédés avant sa naissance, Léa ne connaissait aucune personne aussi âgée. Le visage ridé, les mains tordues de la voisine lui faisaient peur. Devant cette proposition, Léa regardait Lucas avec désapprobation. Elle n’avait pas oublié l’interdiction de son père de rentrer dans une demeure. Lucas lui chuchota à l’oreille » de ne pas être aussi peureuse » Léa était vexée par ces mots. Elle lui dit qu’elle n’était pas peureuse, simplement timide. Pour les convaincre un peu plus, et sur un trait d’humour, la voisine leur proposa de goûter à son fameux jus de framboise à la langue de renard. Lucas s’engouffrait déjà dans la maison. La dame supplia Léa de rentrer, car le vent du Nord refroidissait sa demeure. Elle ne voulait pas que la jeune fille prenne froid. Léa entra à son tour et la porte se referma.

Il est dix-neuf heures. Carole s’interroge et interpelle son mari en lui expliquant que les enfants devraient être rentrés depuis une heure. Concentré sur un match de rugby, il n’a pas fait attention à l’heure. Il s’énerve en pensant que son fils n’a pas bien écouté ses recommandations. Sans attendre, il sort pour faire le tour du quartier. Alors que Carole patiente à la maison en espérant le retour de ses enfants. Le secteur n’est pas très étendu. Il s’attelle à faire le chemin que ses enfants ont pu faire. Il toque à toutes les portes pour interroger les voisins. Certains sont absents, mais ceux qui sont présents confirment avoir vu les enfants repartir plus loin dans la rue. Le quartier est agencé en boucle. Après leur maison, il n’y a plus que des champs. En longeant la route, le point de départ perpendiculaire à la route principale du bourg descend jusqu’à leur maison pour remonter vers la route principale. Michel se retrouve devant la dernière demeure du quartier, celle de sa voisine. Il regarde la bâtisse. Il y a de la lumière. Malgré l’heure tardive, il toque à celle-ci et attend en pestant contre son fils. Michel est inquiet. Dans un grincement amplifié par le calme environnant, la porte s’ouvre. Michel dit :

– Excusez-moi, Madame, je cherche mes enfants, Lucas et Léa. Ils faisaient le tour pour Halloween et ils ne sont pas encore rentrés. Sont-ils passés chez vous ?

– Vos enfants sont dans ma cuisine. Ils boivent du jus de framboise et grignotent quelques petits gâteaux !

– Mon Dieu, je suis soulagé. Je leur avais pourtant demandé de ne pas déranger les voisins. Depuis une trente minutes, je les cherche. Quel stress !

– Ils ne m’ennuient pas, au contraire. Un peu de jeunesse me fait bien. Puis-je proposer à votre famille de venir déguster ma soupe de potirons ? Nous ferons connaissance autour de ma spécialité. Demandez à votre femme de nous rejoindre. Faites-moi ce plaisir !

Les enfants qui avaient reconnu la voix de leur père le supplièrent d’accepter. Michel regarda son fils avec sévérité. Il était fâché contre lui. Mais devant l’insistance des enfants, il accepta et alla chercher sa femme. De retour chez lui, il expliqua à Carole où était les enfants. Il lui fit part de la demande de leur voisine. Carole trouvait l’attention sympathique. Elle était rassurée de savoir les enfants au chaud et à l’abri. Michel respira un grand coup, sa femme revêtit sa veste pour se rendre chez leur voisine.

À 21 heures, toute la famille est installée autour de la table dans la cuisine. Un vieux poêle à bois supporte une imposante marmite fumante d’où les senteurs de potirons et de cannelle s’évadent. La soupe est prête. La dame âgée transvasa la marmite dans un potiron évidé. Elle le posa au milieu de la table et fit le service en demandant aux enfants de faire attention, car le breuvage était bien chaud. Dès la première cuillère, Carole demanda la recette de cette soupe. La voisine lui dit :

– Je veux bien vous donner ma recette, mais malheureusement, elle se trouve à la cave. Depuis quelques années, je ne vois plus très bien, surtout dans la pénombre. Par contre, si vous m’accompagniez, je peux vous indiquer où mon précieux carnet se trouve.

– Allons-y, je suis impatiente d’en connaître les ingrédients, c’est un tel délice !

Carole suivit sa voisine qui lui indiquait un vieil escalier abrupt qui menait à la cave. Se sentant plus à l’aise, Michel se rendit dans l’entrée. En traversant le couloir, une photo l’avait fortement intriguée. Michel scruta la photographie de près. Il s’agissait de la vieille dame lorsqu’elle devait avoir environ vingt ans. Le nez presque sur le verre, Michel essayait de lire une petite inscription en bas à droite de celle-ci. Il parvint à décrypter une année. Dix-huit cent quatre-vingt-dix. Étonné, Michel décrocha le cadre, oui il avait bien lu. Michel chercha une explication plausible. Après réflexion, il en déduit qu’il devait s’agir de la grand-mère de sa voisine. Soudainement, un fracas remonta de la cave. Il courut vers l’escalier la photo toujours en main, et s’écria :

– Quelqu’un est tombé ?

– Non, tout va, Michel. C’est juste un carton qui s’est renversé !

– Carole ? Tu es sûr, tu as une drôle de voix !

Michel criait à ses enfants de rester à l’étage alors que ceux-ci étaient déjà en bas des marches. Avec l’ardeur de sa jeunesse, Lucas ouvrit la porte. Léa et Lucas s’engouffrèrent dans cette cave mal éclairée. Un autre bruit plus long cette fois-ci, pling ; flong ; bang. Michel entendit soudainement la voix étouffée de ses enfants qui le suppliait de venir les aider. Michel se sentait pris d’une peur réelle. Il entendait clairement sa fille le supplier de venir la délivrer. Michel en descendant les marches criait » j’arrive les enfants, j’arrive ! »

Il manqua de peu de se casser la figure, ouvrit la porte et découvrit sa femme pendue par les pieds avec un bâillon sur la bouche. Elle gesticulait comme un ver dans une pomme. Ses enfants dans la même position sans bâillon hurlaient de terreur. Leur visage rougit par l’afflux de sang dans la tête. Michel avait du mal à voir les détails de la cave tellement la lumière était terne. Il avança au milieu de la pièce alors que la vieille femme sortit du fond de la pénombre, à moitié cachée par une pile de tonneaux en plastique. Elle lui dit :

– Oh ! Michel, je suis confuse. Tous ont marché sur d’anciens pièges. Je les ai fait installés pour les voleurs. Lorsque je m’absence, je suis plus sereine. La prudence, vous savez, hum !

– Et le bâillon, il est arrivé tout seul dans la bouche de ma femme ?

– Non, mais les cris de votre femme amenuisent ma force. Je voulais la libérer, mais je suis trop vieille. Je n’ai plus suffisamment de capacité physique pour la détacher !

Michel saisit Carole par les hanches lorsqu’un de ses pieds se déroba violemment. Il se retrouva pendu au niveau de sa cheville comme un animal à l’abattoir, la tête à l’envers. Michel criait toute sa rage. La dame, d’un pas alerte, s’avançait vers lui avec un sourire lugubre. Elle riait si fort qu’une pile de tonneaux s’effondra derrière elle. Elle lui dit :

– Oh ! je suis soudainement heureuse. Je ne pouvais rêver mieux comme instant., je vous remercie. Je vais enfin retrouver ma jeunesse ! Vous pouvez crier tant que vous voulez, la pièce est insonorisée. Je suis peut-être vieille, mais pas stupide. Michel, depuis le jour de votre arrivée, vous me regardez avec mépris. Je suis âgée, pas aveugle. Ne répondez pas Michel, au risque de rajouter à votre mépris, le mensonge. Ce ne serait pas un bon exemple pour vos enfants, en êtes-vous d’accord ?

– Oui ! Je suis d’accord avec tout ce que vous voulez, mais relâchez-nous, par pitié !

– Et voilà maintenant la supplication. Classique dans ce genre de posture. Michel, votre femme pleure, certes et pourtant elle se tient avec élégance. Je me demande bien pourquoi. Avez-vous une idée?

– Parce qu’elle a bâillon sur la bouche, sorcière !

La vieille femme sortit de son tablier, un foulard fin et noir. Michel s’agitait comme un rôti mal ficelé. Il envoyait son pied mobile vers sa tortionnaire. Le calme revint naturellement dans la pièce lorsqu’elle parvint à bâillonner Michel. En le regardant dans les yeux, l’expression concentrée, elle lui dit :

– Michel, vous allez me permettre de rajeunir de cent trente années. Je vous ai vu regarder ma photo avec insistance. Votre pragmatisme n’a pas voulu croire en ce qu’il voyait, n’est-ce pas ? Je sais lire ce que vous ne dites pas. J’ai assez d’expérience de vie. Ce que vous allez vivre est simplement votre fin. Quant à moi, cela sera un renouveau, une renaissance, un rajeunissement. Je vous remercie pour votre contribution même involontaire ! j’oubliais, je crois que cela vous appartient. « Chaussette », c’est bien ça son petit nom ? Dites-moi, vous me prêteriez encore un peu son apparence tigrée ? Que c’est bête, un peu d’herbe à chat, et il vous suit comme un poisson appâté par un ver. Mais finalement pas plus que les humains. Je vous ai fait venir grâce à vos enfants. C’est votre herbe à chat ! le temps file, j’ai à faire avant minuit. Je vais clore cette discussion-là. Un dernier mot. Plus vous serez calme, moins vous souffrirez !

La petite vieille revint du fond de la cave avec une longue lame. Avec autorité, elle trancha la gorge de Michel. Elle positionna un bidon de vin de cinq litres sous le filet de sang qui jaillissait de sa carotide. Elle fit de même avec le reste de la famille. Les bidons remplis, elle les installa un par un sur la table de sa cuisine. Une bûche plus tard dans la cuisinière à bois, elle remit la marmite remplie d’hémoglobine à bouillir. Elle ramassa sa photo pour la caler sur le vieux clou dans son entrée. Elle pensa :

» Vingt-trois heures trente. « Juste le temps de laisser mijoter. » Du tiroir du buffet, elle choisit une langue séchée de renard puis elle sortit de sa poche de tablier, le corps desséché de Chaussette. Elle racla les globes oculaires avec une petite cuillère, arracha une petite quantité de poils tigrés et jeta le tout dans la marmite.

Vingt-trois heures quarante-cinq. La marmite commençait à bouillir. Elle y ajouta deux bâtons de cannelle.

Vingt-trois heures cinquante-huit. Elle se servit une louche de potage. Le regard vissé vers l’horloge, elle s’installa à table.

Vingt-trois heures cinquante-neuf et trente secondes. Elle entama la formule magique avec lenteur. « Que la pleine lune soit avec moi. Que l’hiver des esprits retournent à la terre ! Que le printemps de mon être, bourgeonne ! Jeunesse pour un siècle, je reste ! »

Minuit. Goulûment, elle porta le nectar de jeunesse à ses lèvres et en but une gorgée. Un éclair apocalyptique illumina toute la maison, les murs tremblèrent. Le sol se souleva. La vieille dame grossissait, maigrissait en un instant, un cri strident acheva le rituel. La dame disparue alors qu’un miaulement timide retentit sous la table. Un chat tigré aux pattes blanches, les pupilles dilatées d’agacement, s’installa sur une des chaises. Entre deux miaulements, l’esprit de la vieille dame dit : « Suis-je bête, j’ai oublié d’ajouter le bec-de-corbeau. Adieu jeunesse ! »

On n’entendit plus jamais parler de la petite vieille qui ramenait à vélo de drôles de bidons toujours au nombre de trois. Quelques mois plus tard, sa maison fut vendue. Les nouveaux propriétaires eurent pitié du chat tigré à pattes blanches qu’ils trouvèrent à leur arrivée. Depuis le chat se prélasse sur un pouf confortable au coin du foyer de la cheminée en ronronnant. Il attend patiemment la prochaine pleine lune qui tombera le jour d’Halloween.

Liberté de mes mots !

Demain, je chanterai un grain de folie sur la terre planète pour érailler l’espace du temps.

Je danserai ma liberté dans un mouvement lumbago, sans dos pour ne plus sentir le pic scie.

Je crierai le choix de chaussette éteint d’un trou pour l’air regard évadé, d’évadé.

Je courrai en avance sur un passé démonté pour que le carré retrouve le bon endroit.

Je sauterai sur une armure fissurée en fer de sucre pour céder toute ma rigueur de guerrière.

Je taperai sur une peau derme génétiquement modifiée pour cheviller sa couleur à ma stature.

Je cliquerai un carré fondant glissant d’imperfection pour laisser à d’autres l’illusion.

Je cheminerai sur l’étoile en galaxie inconnue pour vous, la clef cachée dans mes mains.

Je creuserai ma maison de carton pour qu’au moindre vent, elle retrouve sa vérité.

Je créerai la guimauve en être de chair pour que le sucre transpire ses cristaux brillants.

Je libérerai les papillons en armée lumière pour que la pupille éclate en teintes infernales.

Je déploierai les coccinelles en points linéaires pour que le sillon se devine dans le ciel.

Je choisirai les crapauds en nénuphars de devenir pour laisser l’homme plat ou relief.

Je goûterai les crocs de l’humain en câlin d’ours peluché, sans peur d’être mangé tout cru.

Je chercherai une souris chemise dans le sommeil lunaire pour sombrer au creux de ses yeux.

Je chevaucherai un cheval en feux volants aux mille temps sans qu’il y ait d’arrêts .

Je dormirai sur un sable mouvant en souffle de vie pour remplir l’air d’autres mots.

Mais surtout j’espérerai trouver des humains en vérité, en sincérité.

Faucheuse canon

Chercher sa trace dans une lame d’alcool, se méprendre sur son idée.

Fuir ou embrumer pour ne plus fumer le goudron de ses pensées. Se noyer sur le rebord d’un verre cassé, jusqu’à saigner le rouge de ses baisers. Embrumer en vapeurs l’étincelle de l’iris bleutée, se laisser dissoudre dans des degrés tièdes.

Chercher le sommeil au travers du brouillard qui parsème sa vie de confettis gris. Pleurer sur ce cœur aigri, vouloir aimer et ne plus savoir.

Ramper dans l’apparence d’une ligne, le corps en lévitation. Mépriser ses contours, ignorer la dimension de ses erreurs. Ramper au roc bitumeux, son amertume. Arracher ses cordes vocales sur ses rebords perdus.

Vomir ou dormir. S’effacer sur l’empreinte des degrés à rebours qui laisse le temps filer sans soi. Baisser la tête, contempler ses pieds et dégueuler cette terre perdue, l’âcre douceur d’une mémoire embrumée. Espérer qu’un fantôme rien qu’une fois, vous serre dans ses bras.

La langue desséchée sur le parvis de ses envies. La bulle éclatée ne reste que cette vapeur brûlante. Reliquats du souvenir d’une chaleur éphémère à ses os glacés.

Parsemer de vent l’esprit, s’ennuyer quand même de soi. Filer en coton ses jambes, se laisser choir dans un état qui espère un jour être soi.

S’envoler toujours, s’envoler encore, jusqu’à ne plus penser. Choisir de ne plus rêver, ne plus croire, ne plus être. Le liquide gagnera, quelle que soit sa volonté.

Laisser la lame faucher cette réalité. De mortelle lassitude, reposer ce verre. S’endormir aux feux éteints de traîtrises. Espérer qu’au réveil, les vapeurs vous auront éloignés de vos choix.

Cumulonimbus calvus

Allongé de tout son long dans un pré bleu, s’étirant jusqu’au tréfonds de l’esprit avec la terre comme horizon. S’étale, se gonfle, se rassemble, s’étage et s’évase pour lâcher la lourdeur lorsqu’elle est infinie.

Telle une vanne ouverte, déverser de fines gouttelettes. Tantôt épaisses, tantôt légères ; de rondeurs égales, aux diamètres aléatoires.

Attendre et reprendre sa légèreté une fois libre. S’éloigner en attendant la chaleur des rayons du soleil en comptant les traits de l’arc-en-ciel. Contempler la terre brunir, l’herbe grandir et cavaler pour retrouver une autre volute de vapeur gazeuse.

Allongé de tout son long dans un pré bleu, s’étirant jusqu’au tréfonds de l’esprit avec la terre comme horizon. S’étale, se gonfle, se rassemble, s’étage et s’évase pour lâcher-prise.

Regarder le soleil dans les yeux, le narguer, car évaporé, que nenni ! Préférer la justesse de remontée du sol pour réunir l’indicible masse.

Rien ne se voit. C’est un voile discret qui remonte pour prendre une couleur, puis un poids. Ce voile finit par s’unir pour ne former qu’un. Il laisse le choix d’un chemin au grès du vent entre rire et course dans l’immensité bleue ou quelques monts grognons et épineux ne font que ralentir l’immuable chemin. Libre d’apparaître, de disparaître, de chagriner, de réjouir, d’ensemencer, de noyer, de tendre, détendre l’humeur. De se charger ou de se décharger en énergie.

Libre de s’envoler plus en hauteur, à la limite de la stratosphère. Capable de changer de costumes suivant le vent dans l’espoir de capter le plus, le moins des couches de l’atmosphère. Pour faire de la chimie moléculaire avec les éléments afin de recréer un autre différent et choisir encore une fois.

Allongé de tout son long dans un pré bleu s’étirant jusqu’au tréfonds de l’esprit avec la terre comme horizon. S’étale, se gonfle, se rassemble, s’étage et s’évase en forme d’enclume pour gronder toute sa lourdeur.

Éclairer d’un sillon lumineux cette terre, pour s’alléger au plus près de la température idéale. Entre le chaud et le froid, l’envie et la retenue pour repartir aux mille vents des courants d’air. S’inspirer du contraste dessus dessous et choisir son point d’équilibre.

Allongé de tout son long dans un pré bleu s’étirant jusqu’au tréfonds de l’esprit avec la terre comme horizon. S’étale, se gonfle, se rassemble, s’étage et s’évase, décider de lâcher cette lourdeur infinie.

Laisser la veille lunaire choisir le courant d’air et ses propres degrés. Laisser-faire pour que la lune repose ses yeux. Se libérer une dernière fois avant le retour du soleil. Laisser le calme lunaire faire son attraction puis sur une ligne d’horizon pâle, clore cette envolée.

Allongé de tout son long dans un pré bleu s’étirant jusqu’au tréfonds de l’esprit avec la terre comme horizon. S’étale, se gonfle, se rassemble, s’étage et s’évase, choisir de lâcher cette lourdeur lorsqu’elle est infinie. Lâcher prise et gronder toute sa lourdeur pour trouver son point d’équilibre. C’est ainsi que le soleil restera.

Terre de brume

Depuis mon plus jeune âge, je voyais au-delà du lac cette brume stagner sur la terre lointaine. Été comme hiver, un nuage de vapeur d’eau flottait, accroché à la cime des arbres. Personne n’y vivait depuis des siècles. Ceux qui s’y étaient rendus avaient disparu. Ce fait historique transmis de génération en génération, plus personne n’avait osé y retourner.

C’est ce que me racontaient mes parents lorsque j’étais enfant afin que je ne m’y aventure pas. Mais aujourd’hui, j’ai vingt ans et tous les matins mon premier regard se tourne vers cette lagune inversée. Ma curiosité me pousse à découvrir le secret de cette île brumeuse.

Je le sens, cette île perdue dans son manteau m’appelle. La nuit, des lumières apparaissent discrètement en reflet sur les murs de ma chambre. Elle me dit de venir, je le ressens fortement. Dans son regard nocturne, parfois elle est reflet d’argent, parfois sombre jusqu’au noir. De temps en temps, elle irradie des pointes lumineuses jaunes qui semblent m’observer.

La météo annonçait une journée radieuse. L’île se trouvait à environ deux miles à vol d’oiseau. J’avais préparé ma canne à pêche pour faire diversion. Hors de question d’inquiéter mes parents. La peur du non-retour empêchait jusqu’à l’évocation de la terre de brume et le simple fait de se rendre en barque au milieu du lac cristallisait toutes les angoisses dans une irrationalité déconcertante. Aucun argument ne pouvait faire évoluer cette peur inscrite depuis des milliers d’années.

Il est onze heures du matin, le soleil irradie mes pupilles. Je pousse ma barque sur le bord du lac, je pagaye. D’abord doucement pour me diriger vers celle que les villageois appellent la terre de brume. Ma peau brûle sous l’assaut des rayons du début d’été. Le sel de ma peau s’évapore en gouttelette d’effort. Le relent du lac est un mélange d’eau croupie et de poissons en putréfaction. Je me souviens de nos concours de pêche de sangsues accrochées entre les toiles d’algues qui dansaient au rythme du remous créé par nos rames. Je ne gagnais pas souvent, l’aspect visqueux de ces bestioles m’avait toujours rebuté.

Un coup d’œil vers la terre de brume, j’ai l’impression qu’elle s’éloigne. Ce n’est qu’une perception tronquée par mon impatience de l’atteindre.

Au bout de deux heures, le nez cogne la terre ferme, dans un râle distinct du silence qui enveloppe mon ouïe. Aussitôt, la brume m’enveloppe d’une douceur humide, légère. Mon bateau arrimé, j’observe le cœur de cette forêt. Les arbres sont sciés en deux par la brume, je devine leurs corps montants. J’avance. C’est une forêt d’arbres décharnés, asphyxiés. Le plus perturbant est l’absence de son. À part le bruit de mes pas, pas un souffle, pas un chant d’oiseaux, un silence lourd et prégnant.

Soudain, au centre de cette forêt brumeuse, un éclat attire mon regard. Des yeux jaunes me regardent, quelque chose bouge caché par ce voile imperceptible qui ne cesse de bouger en même temps que j’avance.

Je cours. Il y a quelque chose entre les troncs, j’essaye de le rattraper. Un corps noir ondule, s’échappe. Je chute sur une souche. Un paquet de grisaille s’abat sur moi, m’élève dans les airs. Je ne peux plus bouger, je suis porté par cette chose. Je suis à deux doigts de prendre une branche dans la tête alors que la brume bifurque évitant tout contact avec le bois.

Ma pensée est brouillée lorsque je suis lâché par mon tapis volant abruptement. Je tombe sur une terre de rocaille. Le corps douloureux, je me relève devant une stèle haute en roche grise. La brume est partie un peu plus loin. Ici, le ciel est clair. Un bruit, un bruissement sur ma droite, j’étouffe un cri d’effroi. Une forme sombre s’avance vers moi, elle ondule comme un serpent. Sa tête apparaît, des yeux jaunes aux puissants reflets orange m’obligent à fermer les yeux.

Une voix sombre m’interpelle :

– Jeune aventurier, que cherches-tu sur ma terre ?

Avec prudence, je cherche à éviter de plonger dans ce regard impressionnant de ce serpent qui me regarde avec insistance. La tête baissée, je lui réponds :

– Je ne cherche rien ! Je voulais juste savoir pourquoi mon regard était tellement attiré par cette île !

– Si tu me vois et que tu es venu, c’est que ta raison doit être autre ! Il n’y a pas de voyageurs sans raisons, pas d’aventuriers sans quêtes, alors ?

– C’est l’île qui m’a appelé, je pense. Je t’ai vu souvent au travers de la brume. J’ai besoin de comprendre quelle est cette peur qui empêche chacun de venir ici !

– La peur n’est qu’affaire d’homme, pas d’esprit ou d’âme. Tel que tu me vois, je suis l’âme de cette terre abandonnée depuis des millénaires. Il n’y a que la pierre devant toi qui peut répondre à ta question. Je ne suis que le gardien d’un territoire vierge. Va et regarde l’autre face de la pierre, tu comprendras !

Sa phrase à peine terminée, l’ombre noire s’effaça dans le brouillard gris. La brume semblait être son voile de protection. Je m’avançais vers cette pierre haute de deux mètres. En la contournant, l’astre solaire m’aveugla de manière si violente que je tombais à genoux. Sur la face de la pierre se dressait un grand miroir. Le soleil se reflétait avec violence sur sa surface. À travers la luminescence, je vis un petit garçon apparaître. Il courait, chutait. Il avait le genou écorché. Il pleurait puis se relevait en riant. Derrière lui, une femme essayait de le rattraper alors que le garçon fuyait au-delà de son regard. Il se cacha, derrière une maison. La jeune femme en robe blanche l’appelait, l’angoisse se voyait sur les traits de son visage. Lui, s’échappa encore plus loin. Il grimpa sur un bateau amarré, s’allongea bien à plat pour ne plus être visible. Le bateau n’était pas correctement amarré. Inexorablement les vagues éloignaient l’embarcation du ponton.

Parvenu au milieu du lac, le petit garçon se redressa. Il n’y avait pas de rames sur ce bateau. Il se mit à pleurer. Il était terrifié. Lorsque la brume apparut comme un filin. Le brouillard accrocha la proue du bateau et l’amena sur l’île. Le petit garçon descendit de l’embarcation, son genou saignait. Il était affolé. Ne sachant que faire, il s’enfonça dans la forêt. Un instant, il disparut dans la brume pour réapparaître au-dessus des cimes. La brume s’évapora sous son corps le faisant chuter dans une clairière. Une ombre noire s’approcha dans son dos. Le garçon comprit le danger. Il cria tout en essayant de fuir, mais l’ombre noire aux yeux jaune-orangé l’avait déjà avalé.

Une tristesse immense aussi lourde que la brume de cette terre m’étreint. J’avais besoin de ressentir le corps du miroir. Effleurant du bout des doigts la paroi vitrée, celle-ci s’ouvrit en deux. Naturellement, je compris que cette stèle n’était que mon corps, que j’étais le cœur de cette terre de brume. Ce petit garçon, c’était moi. J’avais retrouvé ma demeure.

Je suis une question

Une journée ordinaire, d’un patient atteint de la maladie d’Alzheimer, en Ehpad.

Ils me disent que je suis vieux, mais c’est quoi la vieillesse ? Je ne vois pas où je suis vieux. Je marche, je pense, je parle, j’ai des projets. Bon, il est vrai qu’à l’heure actuelle, je suis un peu brouillon dans mes mots.

Je pense fourchette, je dis chamois, un truc comme ça. Pourtant dans ma tête ça tourne rond. Tous mes souvenirs sont bien archivés, mes voyages en-dehors de l’Europe, mon travail, d’ailleurs un coup d’œil à ma montre, je lis soixante-cinq heures et zéro deux minutes. Qui a changé le cadran de ma montre ? Je suis en retard pour aller travailler, j’ai un poste à responsabilités. Je fais le tour cherchant la sortie. Deux minutes plus tard, je suis de retour à la case départ, essoufflé je suis. Le temps presse, j’ai à faire. Je m’arrête, je regarde autour de moi. Il n’y a que des vieux ici. Quel est cet endroit ?

Je fais à nouveau le tour pensant avoir raté la sortie. Non, tout est fermé. Mon dieu, je vais être en retard ! Dans cet espace, quelqu’un pose une main sur mon épaule, me tire une chaise, me demande de m’asseoir. Pourquoi devrais-je m’asseoir ? J’ai à faire et ce n’est pas une fillette qui va me diriger. Je refais un tour, j’essaye d’ouvrir les fenêtres le long du couloir. Non de Zeus, tout est fermé ! Je commence sérieusement à stresser. Si c’est une blague, elle est nulle, il faudra que je le dise à ma fille.

Encore cette salle. Oh ! ça ne sent pas bon. Un mélange de vieux et de bouffe, le mélange des deux, ça pue. La fillette me guide par l’épaule. De quel droit, elle me touche ? Ça m’insupporte. J’enlève sa main, je ne veux pas qu’elle me tienne, ça non ! Je suis assez stressé par mon retard au travail, mes enfants m’attendent. Ma femme, que fait ma femme ? Je ne sais même pas si elle sait où je me trouve.

Je suis fatigué maintenant. Je transpire d’avoir cavalé pour rien. La fillette me tire à nouveau la chaise, qui en raclant le sol fait un bruit qui m’irrite encore plus. Où suis-je ? Que quelqu’un me le dise ! Je suis tout juste assis que la fillette pousse ma chaise vers la table. Je me raidis, je suis coincé contre la table. C’est sûr que pour me barrer en courant, ce sera dur. Une autre fillette installe en face de moi une vieille. Mon Dieu qu’elle est vieille, qu’est-ce que je fous là ? Je cherche du regard dans l’agitation fort bruyante des plateaux que les fillettes posent devant ces autres que je ne connais pas. Je voudrais faire taire cela. Où y a-t-il une personne adulte ici ?

Ce bruit, ces odeurs, j’ai envie de vomir. Pourquoi font-ils autant de bruit ? À la table d’à côté, une vieille se met à hurler comme si on l’égorgeait. Je l’observe. C’est quoi cet endroit de fous ? On me pose un repas alors que je n’ai rien demandé. La fillette met une fourchette dans ma main comme si je ne savais pas le faire seul. Je la regarde méchamment. J’en ai assez. Et ce bruit, des bling, des blang, des cris. Où suis-je ?

Ah, je vois une adulte, je crois. Elle pousse un chariot plus discrètement. Elle arrive, je vais lui demander le nom de cet endroit. Arrivée à ma hauteur, tellement angoissé je suis, j’harponne son bras comme une bouée de secours. Elle a un truc de couleur avec un liquide dedans. Dans un soubresaut, je manque de chavirer ce qu’elle m’apporte. Elle me demande de le prendre,. J’obtempère. Pouah, c’est amer ! j’ai la langue collée au palais, tellement le goût est mauvais. Mes yeux la supplient. Je bafouille: « il, il, chemin, demain ? » Elle me scrute avec une interrogation certaine. Elle n’a pas compris, je reformule : « ferme, Chine entrain ? »

Elle me dit avant de partir : « mangez maintenant sinon ça va être froid ! » C’est un cauchemar, je dois rêver ! Soudain, la petite vieille défraîchie installée à côté de moi me fait du pied, je recule mes jambes sous le fauteuil. Je n’ai même plus faim avec ce vacarme, je veux sortir. Je veux rentrer, mon plat fume devant moi. Je ne sais même pas ce que c’est. Un tas avec un tas. Ça fait deux tas, qui ne ressemblent à rien, noyés au milieu d’un océan de sauce. C’est douteux de faire ainsi, je croyais que c’était le repas. Est-ce qu’ils veulent me tuer ?

Mes voisins et voisines mangent sans sourciller. Une fillette donne la becquée. Voilà encore un truc spécial ici. Je me décide à piocher dans un de mes tas. Je me rends compte que la fourchette s’est transformée en cuillère. Pourquoi ? Va savoir, ils sont marteaux ici ! Du bout de la langue, je goûte, la grimace vient aussitôt. C’est salé, salé ! Ça a un goût de sauce salée, j’ignore ce que c’est. Je teste le deuxième tas, pareil ! j’ai envie de pleurer tellement je suis dépité. Comment peut-on ?

La petite vieille n’arrête pas de me regarder, je ne sais pas ce qu’elle me veut. J’ai l’impression d’être un extra-terrestre à ses yeux. Mais non, c’est elle l’extra-terrestre, en plus elle bave. La totale ! Comment est-il possible de manger devant quelqu’un qui bave ? Elle a des tics de claquements de langue qui m’agacent. Oh ! j’en ai marre. Je repousse mon siège brutalement, il faut que je me barre d’ici en vitesse.

Je cherche le chemin le plus court vers la sortie, mais déjà une fillette me poursuit. Je me retourne dans une rage. Je lui envoie : « parie, foustre, y’en a marre ! » Elle s’arrête net. Enfin, je vais fuir sans me sentir traqué. C’est par là, je crois. Toutes les portes d’un côté du mur sont ouvertes. Je m’arrête un instant devant l’une d’elles où il y a une pancarte avec des lettres. De l’autre côté, c’est pareil. Tout le long, des mots qui ne veulent rien dire. Des h collés au r puis un b, les voyelles ont disparu !

Devant une pièce, je scrute la porte, il y a une photo avec trois personnes dessus. Je ne sais pas qui c’est. Pourtant cela me rappelle quelque chose. C’est tellement vague que je n’arrive pas à remettre où j’ai déjà vu cette image. Je rentre dans cette chambre. Peut-être que ma femme n’est pas loin ?

Aux murs, des tableaux peints sont accrochés, des photos encadrées posées sur un meuble. Je m’approche pour y voir mieux. Tiens ! je crois que c’est moi sur une des photos. Qui la mise là ? Oui, je reconnais ce voyage au Maroc du mois dernier. Qu’est-ce qu’il faisait chaud ! Les dromadaires, le souk, ma fille encore petite. Ma femme, quelle beauté ! Maintenant, je suis vraiment fatigué. Je m’assois sur une banquette molle. Je tâte le tour, il y a des longes métalliques qui courent dans la longueur. Qu’est-ce que je devais faire déjà ?

Une fillette rentre suivie par une petite vieille au pas hésitants qui racle ses pantoufles comme une survie terrestre. Elle me demande si je veux me coucher. Que pourrais-je lui dire : « jospoie » sort de ma bouche. Je souris discrètement, je le sais, cela ne veut rien dire ! J’attends. La porte ouverte, je vois passer une ribambelle de petites vieilles et quelques petits vieux. Mais je ne suis pas vieux, je suis fatigué !

La fillette revient, elle me fait relever du lit alors que je ne peux presque plus. Voilà que je traînasse mes godasses, mais qu’est-ce que je fais là ? Elle me demande si je veux aller aux w.c, qu’est-ce que j’en sais ! c’est quoi des w.c. ?

Elle m’enferme dans une pièce avec un grand miroir. Je prends peur, car il y a une personne à deux têtes qui me regarde. Une à l’apparence d’un vieux bougre, je lui dis « fiche-toi, choreau de qui ! » Alors qu’elle me déshabille, le monstre à deux têtes disparaît. La fillette me colle une mousse autour de mes cuisses et de mon ventre. Je sens la chaleur m’irriter les plis. J’essaye de l’en empêcher, mais elle me dit d’attendre « qu’elle remonte le slip filet ! » La fillette parle aussi une langue que je ne comprends pas. Comment un slip pourrait-il être filet ? C’est un slip patate ou un slip pêche. Mais qu’est-ce que je fais là ?

La fillette ouvre le lit, elle me demande de m’asseoir. Je n’en peux plus, pourquoi suis-je si fatigué ? À peine allongé, mes yeux se ferment. Mon corps est encore tout raide du stress encaissé, mais en baragouinant quelques recommandations à la fillette, je sombre dans un sommeil profond. J’ouvre les yeux, il fait noir, une petite lumière éclaire le bas du mur, j’essaye de me lever. Je n’y arrive pas, j’ai la tête enfumée, ensachée. J’attrape quelque chose qui bouge, je tire, ça vient facilement, puis d’un coup un grand bouing. Quelque chose est tombé. La porte s’ouvre, « ouf ! enfin quelqu’un ». Une ombre blanche s’approche, ramasse ce qui est au sol, me demande de dormir encore un peu, qu’il est deux heures du matin ! J’essaye de me redresser dans le lit sans y parvenir. Comment se fait-il que je n’y parvienne pas ? Qu’est-ce qu’ils m’ont donné? Ils veulent me tuer. Qu’est-ce que je fous là ?

J’entends du vacarme. Un bruit de vaisselle maltraitée, quel boucan ! il fait toujours nuit pourtant. Je me lève. Je suis rouillé comme si un bus m’était passé sur tout le corps. J’essaye de trouver la sortie. Un voile, je tire dessus. Peut-être est-ce pour ouvrir ?

La gâche de la porte s’enclenche, m’effrayant dans le même temps. Une dame entre avec un beau sourire, me disant « bonjour ». Elle me tend la main, me dirige dans une pièce avec un miroir. Elle ressort me disant qu’elle va ouvrir les volets. Comment ouvre-t-on les volets ? Je la suis pour voir comment elle fait. Elle touche le mur et la lumière apparaît. Mais où suis-je ? Elle me déshabille, elle parle vite, je ne comprends pas la moitié de ses phrases. Elle emballe ma main dans une matière peu agréable, fermée sur les côtés. Elle me fait de grands gestes, on dirait une marionnette. Ça y est, j’y suis. Je suis dans une troupe de théâtre. Mais je n’en ai jamais fait, je n’ose plus bouger. Elle me reprend cette chose mouillée. Elle me frotte, frotte, frotte, à croire que j’ai de la corne partout. Le monstre à deux têtes me regarde, il bouge comme un mime. Je ferme les yeux, je ne veux pas le voir. Soudainement, je me souviens du travail que j’ai à faire pour le directeur. Je dois rendre un rapport avant la fin de la semaine. Quel jour sommes-nous ?

Voilà qu’on m’habille ! je n’ai même pas le droit de choisir. Où est mon costume bleu ? Je n’ai pas le temps de regarder dans ces tablettes de chiffons, que je suis dirigé vers le salon pour le petit-déjeuner. Ce rituel me rappelle quelque chose, mais quoi ?

Il y a une petite vieille toute ridée qui bave dans son bol de café, berk ! Elle me regarde bizarrement, l’angoisse monte en moi. Et ce vacarme, c’est insoutenable, des cling, des clangs, des bouings. Devant moi un bol de café fumant. Une fillette me demande de boire un mini-verre jaune, pouah ! c’est amer. J’ai des tartines coupées en deux, retournées comme un sandwich. Je ne sais même pas s’il y a du beurre dessus. Je croque dedans, j’ai faim. Je cherche du regard ma femme dans la salle. Où est-elle ?

Inquiet, j’avale mon café en deux secondes et je me lève insupportant ce brouhaha. Bien décidé, je suis, à trouver ma femme où qu’elle se cache. Après il faut que j’aille au travail. Je marche dans ce long couloir, personne ! J’essaye toutes les portes, tout est fermé. Me voilà au point de départ, me semble-t-il. Une vieille me croise, elle me raconte un truc qui ne veut rien dire, puis elle me donne une tape dans le dos. Je pars dans le sens opposé, il faut que je sorte, ils veulent me tuer ! Quel est cet endroit de fous ?

Je marche, je marche, encore et encore, déterminé, je suis à sortir. Coûte que coûte, il le faut, ma femme m’attend, mon patron m’attend. Je n’ai pas à rester avec ces vieilles qui bavent, qui ne savent même pas parler. Je marche, je marche encore et encore. Je ne veux pas qu’on me touche, je ne veux pas qu’on m’empêche. J’ai à faire, je marche, je marche encore et encore. Je suis en panique, je transpire, je suis essoufflé. Il faut que je continue, je le sais, la sortie est par là. Quelque part par là, je marche, je marche encore et encore !

J’ignore l’heure qu’il est, mon esprit s’embrouille. Je vois un fauteuil libre, je m’assois. Pendant ma recherche, des fillettes bavardes comme des pies me regardaient passer. Tu crois qu’elles m’auraient aidé ? Rien du tout ! Dehors le ciel est bleu, le soleil brille. Un courant d’air frais souffle le long de ma nuque humide, ce n’est pas agréable. J’ai une sensation bizarre dans la tête, ma gorge est sèche. Je pourrais me flinguer lorsque je me sens incapable de faire, incapable de dire quelque chose. Et après ma recherche sans fin, j’ai furieusement envie de pleurer. Mais c’est quoi pleurer ?

Le voleur d’étoiles

Il était une fois, dans la galaxie, un jeune cheval ailé nommé Pégase. Il parcourait la Voie lactée à la recherche d’une compagne éternelle. Il espérait qu’elle parviendrait à illuminer son chemin en chaleur naturelle. Malheureusement, Pégase n’y était encore jamais parvenu. Sa jeunesse ne lui permettait pas d’effacer cette incapacité. Attendant d’être plus fort, Pégase se contentait d’attraper de la poussière d’étoiles. Les étoiles filantes cheminaient bien plus vite que son galop. Un jour, après avoir tant espéré sans y parvenir, il s’arrêta devant la Lune. La Lune était lasse de le voir chaque jour arpenter la galaxie, jusqu’à l’épuisement. Intriguée par sa recherche qu’elle ne saisissait pas, elle lui dit :

– Que fais-tu avec cette musette, Pégase ?

– Chère Lune, j’attrape de la poussière d’étoiles. Les étoiles sont tellement rapides que je ne parviens pas à en retenir une seule. J’aimerais parvenir à en capturer une. Je serai le plus heureux, des heureux !

–Crois-tu que ton bonheur serait total ? En es-tu convaincu, Pégase ? Tu serais heureux avec une seule étoile, soit ! qu’en feras-tu réellement ?

– Je le crois, c’est mon vœu le plus cher. Une seule me comblerait de bonheur. Je l’emmènerai dans ma petite sacoche pour les jours où ma solitude dans cette galaxie immense me pèse trop. Je pourrais me rassurer dans son éclat. Je suis persuadé qu’elle saura me réconforter. Lune, en y pensant, toi qui es posée au même endroit depuis la nuit des temps. De ton observation impassible, connaîtrais-tu l’endroit pour capturer une étoile sans trop de peine ?

– Mon jeune Pégase, tu ne doutes de rien. Admettons, explique-moi ce que tu feras de l’étoile les jours où tu n’auras pas ce sentiment de solitude si pesant ce jour.

– Oh, j’en prendrai soin chaque jour. Je la protégerais comme un trésor. À coup de sabots, si nécessaire. Pour ne pas me la faire voler durant mes escapades, je la garderai précieusement dans mon bagage.

–Pégase, tu seras heureux, soit ! Avec objectivité, as-tu conscience de ce que pourrait ressentir ton étoile ainsi enfermée ? Comment pourrait-elle être heureuse dans la noirceur de ta besace ? Es-tu sérieux à cet instant ? À deux, certes tu seras moins seul. N’ignore jamais que la lassitude de l’enfermement pourrait faire fuir ton étoile.

– Lune, avec toute ma douceur, avec la chaleur de mon cœur, j’en prendrais soin. Même en parcourant la galaxie, chaque seconde, j’aurai une attention pour elle. Je cherche une âme, une amie, une compagne de chevauchée féerique. Un double, quelqu’un qui m’accompagne. Je me sens parfois si las d’errer en solitaire dans cette immensité. Malgré mon jeune âge, cette solitude me rend si transparent parfois que je me sens inexistant. Cela n’a pas de sens. Comment grandir, partager si je suis seul à galoper ? Non, vraiment, je ne comprends pas le sens de mon chemin. De ma vie. J’en désespère lorsqu’à bout de souffle, je m’interroge sur ces kilomètres parcourus.pour rien.

– Que de questionnement, Pégase ? Tes pensées sont aussi profondes qu’un trou noir. Mais, je te comprends et devant tant d’arguments, je consens à t’indiquer où tu peux capturer l’étoile de ton vœu sans trop d’acharnement. Pégase, avant, j’ai besoin de ta promesse éternelle. Tu auras l’obligation d’en prendre soin comme si ta vie en dépendait. Promets-le-moi !

– Oh ! Lune, je te le promets sur ma vie. J’en prendrai le plus grand soin, elle sera ma propre vie. Promis !

– Bien, voici mes instructions. Va vers Saturne. Aux confins de cette galaxie, tu trouveras Titan. À sa droite, une étoile se trouve. Elle est aisément atteignable. N’oublie jamais qu’une fois décrochée, tu en seras responsable jusqu’au bout. Si tu ne fais pas attention, gare à toi. Je serai non seulement déçue, mais également très fâchée.

Les yeux de Pégase brillaient d’émotions. Ses sabots agités trépignaient d’impatience. Il connaissait le chemin le plus court pour atteindre la galaxie de Titan. Il essayait de contenir son impatience. La Lune lui fit une dernière recommandation, elle lui dit :

– Avant de partir, Pégase, je veux que tu rendes la liberté à la poussière d’étoiles filantes. C’est important. La planète bleue en a besoin toutes les nuits pour ses habitants. Pour eux, c’est un vœu à choisir dans la nuit sans sommeil. Pour les enfants, c’est une traîne qui aide à l’endormissement. Quelque fois à la création inconsciente de rêves magiques.

Dans un hennissement joyeux qui rebondit sur chaque planète, Pégase remercia la Lune. Pendant plusieurs années, la Lune ne vit plus Pégase. Elle se doutait qu’il y était parvenu. Ces courses folles lui manquaient un peu. La Lune espérait en son centre que Pégase fut ainsi comblé. Elle qui avait fait de sa solitude, en humilité, une patience infinie.

Des années-lumière plus tard au déclin lunaire. Une ombre galopante et haletante interpellait avec force l’astre nocturne. C’était Pégase, désormais adulte, qui essayait de rattraper la Lune avant que le Soleil ne l’efface. Il cria :

– Lune, mon étoile est souffrante.. Je suis inquiet, depuis peu elle perd sa luminosité. Je ne sais que faire pour la soigner. Peux-tu m’aider ? Je t’ai promis d’en prendre soin comme s’il s’agissait de ma propre vie. Lune tout au long de mon chemin, je l’ai choyée. Elle m’a réconforté dans mes moments de doute, elle m’a rassuré lorsque j’avais peur. Elle a rempli ma vie lorsque je me sentais seul. Elle me distillait une couleur vivifiante lorsque j’étais triste. Depuis quelques jours, j’ai le sentiment qu’elle s’éteint. Elle perd beaucoup de luminosité. Elle est si faible qu’elle peut à peine s’accrocher à mes crins. Lune, ne me dis pas qu’il n’y a rien à faire. Je ne peux l’entendre !

– C’est le cycle de la vie Pégase. Ton étoile est à la fin de sa vie, c’est ainsi. Il n’y a rien à faire. Pégase, tu peux simplement l’accompagner, en prendre soin, jusqu’à son dernier souffle. Malheureusement, rien ne changera sa destinée. Elle a terminé son cycle de vie. Pour chaque être dans l’univers, il en est de même. Il faut simplement l’accepter, Pégase !

– Je refuse de laisser faire, Lune. Ma raison de vivre, c’est mon étoile. Le sens de ma vie, c’est de prendre soin d’elle !

–Pégase, écoute-moi ! tu as décroché une étoile qui a atténué ta solitude mais rien n’est éternel ou figé. Tout est commencement, fin, recommencement. C’est immuable. Pégase, crois-moi, cette étoile n’est pas ta raison de vivre. Ta vie ne peut pas dépendre d’une autre vie. C’est impossible, tout est fin un jour pour tous. Aucune vie ne devient éternelle par désir. Le sens de ton chemin n’est qu’imprégnation de ton être sur les éléments. Au fond de toi, tu es naturellement l’empreinte que tu souhaites donner à ta vie. Même seul, tu l’écris, chaque jour, dans la Galaxie. Pégase c’est la vie. Ta vie ne dépend que de toi et de ta volonté, ton caractère. De tout ce qui fait que tu es, à cet instant !

– Lune, sans mon étoile, je ne suis plus rien ! Je suis triste, je ne veux pas être à nouveau seul. Je ne peux l’accepter aussi simplement. Tu me dis que c’est immuable. Est-il possible de faire quelque chose pour mon étoile, pour qu’elle aille mieux ?

– Non, Pégase, j’en suis désolée. Si tu acceptes de continuer ton chemin comme le vent te pousse, ton sentiment de solitude s’estompera. Ta tristesse se transformera en petits bonheurs, si tu sais ouvrir ton regard sur l’immensité et la beauté de cette galaxie. As-tu déjà observé la fin de vie d’autres étoiles ? Elles dansent pour mourir en joie. C’est cela la vie. La naissance d’une danse inspirante puis une danse éclatante, puissante avant de disparaître. Pégase ! Je m’éclipse, le Soleil est levé. Concentre-toi sur la beauté qui t’entoure chaque jour. Ta peine ne durera qu’un temps. Ton souffle de vie reprendra grâce aux merveilles de cet univers. Pégase ait confiance en toi !

Des cristaux humides roulaient sur le bord de ses yeux. Son cœur pulsait une tristesse profonde. Dans son écrin, l’étoile inexorablement s’éteignait. Le regard de Pégase se projeta dans la profondeur de la galaxie. Dans un soupir de gratitude, il décida de rendre le corps de son étoile à l’univers. Ainsi, pensait-il, elle s’éteindrait dans une danse infinie. Sa vie devait revenir à son origine. Avec humilité, il la laissa partir lorsqu’une dernière traîne lumineuse éclaira la galaxie. Pégase attrapa un petit peu de poussière qu’il mit dans son sac avec douceur. Au moins, elle serait encore un peu avec lui, pensa-t-il. Pégase avait un long chemin d’acceptation avant de comprendre le sens de sa vie sans son étoile.

O moins 2

À califourchon sur le mont, je chevauche le sommet mirant au loin l’horizon funeste de ma destinée.

Fidèle galope au-delà des stèles forgées aux quatre vents. Je suis conquérant de toutes heures. Vous doutez et vous osez me dire que de chevaux, il n’y a pas. Je maintiens que sur ces pierres, je suis pourtant assis confortablement. Alors, dites-moi, qui sont ces moutons bruissant cette chantilly nouvellement fouettée ?

Ne les voyez-vous pas ? Ces trublions informes et difformes qui s’asseyent sur cette montagne-là !

Celle-là même qui me sert d’assise dans cet instant si précis. Pour que je sonde sa profondeur d’un « yolalaiyou » si éloigné de son Tyrol, et qui avec joie me revient de fort loin dans l’incertitude de sa naissance !

Oui, je suis fou ! regardez, j’ôte mes capuches de velours doigtées pour mieux retenir une de ces matières humides qui s’insinuent dans le creux de mon pavillon. Matières qui me content le long chemin de son retour sans que celui-ci sache où il se doit d’aller. La liberté comme arrivée sans arrêt.

Et le rebond du « dit donc ! » du son sait que d’une claque à son neurone, la folie n’est que plus bas dans la vallée verte. Alors qu’au sommet, là, tout en haut près des étoiles constellées de mille éclats, c’est autre chose. Oui, ce n’est pourtant qu’un rêve, juste cela, assurément. Pas de quoi interner un lapin sautant par-dessus le pic le plus haut pour atteindre la plus grasse prairie, sans chasseurs à viser et viseurs de longs canons. Eux, qui sont restés dans la cabane de bois, le verre au bout des lèvres, les pensées au chaud.

Je mire au loin la fourberie de ces petits points de « je ne sers à rien » qui restent aussi aveugles que la taille dont je les réalise. En espérant que vous saisissiez de ma selle, le regard de filou roulant de pierre, qui se lasse de tasse neige réchauffée, aplatie par mon popotin !

Dans un rire ragaillardi par l’immensité du bleu et blanc sans creux, la hauteur se pare soudainement de vert sous le reflet de mon regard. Me voilà géant vert de rouge tenue triturant le bout de mes doigts noirauds. Qu’est-ce donc ? Un délire père Noël en peau hulkesse. Essayant de taire son embarras stomacal à l’aide d’une couleur aussi incertaine que celle de son foie !

Lâcher ce mont d’un bras qui ne résiste que peu. Ah ! je veux voir le soleil s’éclater dans ma pupille. J’ai besoin de rendre l’apparence de l’envers et de l’endroit à son état originel pour cramer l’effet de vainqueur que je ressens à cet instant-là !

À dix, trois ou six, vous pouvez m’attacher après m’avoir vaincu. Je suis repu, de corps en agonie. Je rends la matière à sa raison d’être, de lutte lasse. Mon manteau enneigé me gêne trop, il est trop lâche pour que je me débatte. Soit, je vous rends ma liberté !

Certes, il reste ce mont fort et mince, crevard de peu. Il me scie dans ma trace si simplement que la mouvance n’est que plus loin dans mon regard !

Je ne suis que chimère légère aux vents, balancé dans son sens. Les visages autour s’affolent, se raidissent dans une complexité d’impression paranoïaque de chat échaudé. Lorsqu’enfin le cours de peu se descend plus près de la terre verte, aussi blanche que son point le plus haut. J’en saisis le rebond de son velours immaculé dans mon dos. Je retourne ainsi à une possible raison. Ma raison !

C’est que le mal des montagnes à ce malheur à son alpiniste. Celui de le rendre aussi rêveur que la hauteur du mont qu’il a atteint. La descente contrainte l’oblige à taire ce crayon de pierre qui a dessiné une aquarelle dans le ciel !

En bas, l’air revient en O2. La douleur compte les bouts de doigts de l’alpiniste restés sur le mont vertigineux !

Impatient

Chronique de l’hôpital 2023 !

– Alors qu’est-ce que l’on a aujourd’hui ? Enlevez le champ opératoire, s’il vous plaît. Ben merde alors, qu’est-ce que c’est ce truc. On dirait la faille de San Francisco. Pince s’il vous plaît. Éclairez-moi le fond, que je puisse estimer la matière nécessaire. Oh ! les bords sont friables, un fil de surjet. Il faut que j’estime la profondeur de ce truc. C’est un gouffre. Qui a programmé cette intervention sans rien prévoir ? Anesthésiste, réveillez le patient, il faut que je l’interroge !

– En pleine opération ?

– Oui, si cette personne est là et qu’elle a pu s’allonger sur la table, c’est qu’elle doit avoir des réponses qui pourraient expliquer cette faille. Réveillez-la ! Ouate, encore, encore, encore, compresses. Plus. Comment combler ce truc ? Ça suinte un liquide visqueux !

– Chef, le patient se réveille !

– Monsieur, vous êtes en cours d’opération, ne vous affolez pas. J’ai besoin de comprendre depuis quand est apparue cette béance abyssale !

– Longtemps !

– Vous niez la question, depuis combien de temps ?

– Je ne sais pas !

– Si je retire le rembourrage, est-ce douloureux ?

– Non, je ne sens rien.

– Je vous trifouille allègrement et vous restez stoïque, bien. On peut donc se passer de l’anesthésie. Infirmière, donnez-moi du sérum physiologique. Je vais estimer la profondeur par le nombre de litres qui y rentre. Poche de cinq litres, merci. Monsieur, si vous ressentez une légère sensation, dites-le-moi. À combien sommes-nous ? Vingt litres ! Je ne vois pas le reflet de l’eau. Rien ne coule en dessous. Et vous, toujours rien ?

– Evidemment que non. Mais, où est votre cœur ? Vous êtes en train de vous auto-digérer, semble-t-il ! Quarante litres. On arrête là. Aspiration. Pince. Je vais nettoyer les bords et enlever les petits cailloux. Je pourrai les amalgamer pour recréer une masse cohérente. On va faire du bâtiment aujourd’hui. Allez me chercher du plâtre. Voilà dans un seau, les cailloux, touillez, malaxez bien. C’est d’un bon mortier dont j’ai besoin. Je remplis votre cavité. Vous ne sentez rien lorsque je racle le bord ?

– Non !

– Comment faites-vous pour tenir debout, alors ?

– Le cerveau !

– Bien sûr, alors je vais couper deux connexions pour le fil rouge et le bleu. Scalpel. Je coupe les nerfs de la nuque. Fils électriques. Je les raccorde pour les placer au centre de votre béance. Je pourrai vous faire un maillage avec un conducteur électrique. Pour vous, qu’est-ce qui manque le plus, hormis cette absence flagrante ?

– La chaleur !

– Infirmière, je sais ! chercher des gels-pack placés-les dans le micro-ondes, cinq minutes à mille watts. Le plâtre s’effondre, forcément. Aspiration, nom de Zeus, rien ne tient. Appelez l’électricien. J’ai besoin de son avis.

– Monsieur, je ne suis pas équipé pour entrer en salle d’opération !

– Joe, c’est une urgence. Peux-tu me faire une connexion électrique à partir des nerfs cérébraux, qu’on fichera dans le gel avec du physio en se servant de l’eau comme conducteur d’électricité ?

– Je peux, mais à mon humble avis, une greffe d’uranium serait plus efficace.

– Je n’ai pas de greffe de ce style-là, c’est une béance trop importante, profonde. Il faut essayer de redonner un rythme au centre. Peut-être que l’activité électrique réanimera les tissus profonds pour qu’ils cicatrisent d’eux-mêmes. Fais-moi un maillage genre toile d’araignée, pour la soutenance du gel pack.

– Un circuit fermé alors. Essayons, je vais voir ce que j’ai à l’atelier !

– Pommade ! Je vous tartine les bords supérieurs. La cicatrisation sera plus douce normalement. Joe, tu peux raccorder les nerfs avec les fils. Test ! infirmière, placez les électrodes sur les gels pour voir s’il y a une activité quelconque. Vous ne sentez rien de rien, vraiment ?

– Ce que je sens ? Un vide, c’est tout !

– Vous m’étonnez, ce n’est pas un vide, c’est… je n’ai pas de mots !

– Chef, électrodes en place, j’allume le moniteur. Il y a un tracé faible, mais présent.

– Attendons un peu. Vous sentez quelque chose ?

– Non !

– C’est votre cerveau qui parle là ! Je vous demande si vous ressentez dans votre vide, l’activité électrique qui passe.

– Je sens un nœud froid en surface, je crois !

– Vous croyez, c’est déjà ça. Infirmière, les gels pack ne sont pas assez chauds. Vous me les apportez avec une température de quarante-cinq degrés, pas en dessous. Je veux voir si mon patient ressent la chaleur induite. Joe, une idée pour refermer et protéger la surface :

– Une tôle en fer vissée, pourquoi pas !

– Et l’activité électrique partira en surface. Si lui ne sent rien, les autres risquent de prendre un coup de jus sévère. Je pensais plutôt à une plaque en fibre de carbone. Ça isolerait et protégerait dans le même temps. Est-ce que tu pourrais me la faire sur mesure pour maintenant ?

– Pour couvrir l’extérieur, oui. J’ai mon mètre. Une ou deux mesures, c’est que c’est un sacré placard à fermer…

– Infirmière, le tracé, s’il vous plaît ?

– Faible, mais présent.

– Joe, aurais-tu une batterie avec pile au lithium en stock ? Je crois que ça aiderait à l’augmentation de l’activité électrique de ce rien ! Bien, les gels pack sont en place. Punaise, les bords sont sacrément instables, aspiration. Cherchez-moi du ciment. Une couche de ciment pour solidifier les bords. Une couche de pommade pour favoriser la cicatrisation de l’intérieur vers l’extérieur. Le branchement avec source de chaleur intégrée. La batterie, je vais vous la placer en plein milieu du dispositif, en espérant que ça n’explose pas. Si, je mets ma main dedans. Rien ? La chaleur ? Non plus, soit ! Anesthésiste, endormez le patient, c’est plus prudent… Infirmière, toutes les minutes, donnez-moi le nombre d’ampères qui circulent. Une batterie avec 1,5 V pile bouton, ça prendra le relais en cas de défaillance. Parfait ! Joe, à toi de connecter les bons fils avec la batterie.

– Chef, l’activité augmente, c’est rapide, bien pulsé, régulier !

– Dix minutes de contrôle et je referme. Ok, plaque, visseuse, réveillez-le.. Comment vous sentez vous ?

– J’ai une barre sur la côte !

– Quelle côte, vous n’avez pas de côte à cet endroit. Bon, asseyez-vous !

– Oh, là ça ne va pas ! du tout, du tout ! J’ai, une masse trop lourde sur l’estomac !

– Merde, mais oui, le ciment en prise rapide, il faut renforcer la structure pendant la prise du ciment. Allongez le patient, visseuse. Joe, sais-tu faire des étaies en bois, comme pour une charpente ?

– Combien ?

– Autant que nécessaire. Il me faut également une gaine pour protéger les fils électriques. Je recommence. Perceuse, visseuse, connexions, activité ?

– Correct, mesure à zéro virgule sept volts/secondes.

– Vis, plaque. Activité électrique ? Infirmière apportez moi une grande peluche de pédiatrie. Bon, maintenant ? Une sensation, quelque chose de cohérent dans la perception de votre cerveau ?

– Non, je sens un point qui court le long de la plaque.

– Ciseau, s’il vous plaît ! vous préférez la colle ou les agrafes ?

– Je n’en sais rien !

– Une brûlure lancinante ou une douleur courte ?

– Comme bon vous semble, je ne sens rien !

– Je vous explique. La peluche que je viens d’évider, je vais coller sa matière sur la plaque, pour que vous n’ayez pas cette sensation de froid au toucher. Rentrez chez vous, je vous revois dans un mois. Si, vous avez un nœud à l’intérieur ou une sensation particulière, placez votre main sur la texture de la plaque. Si c’est chaud à l’extérieur, ça réchauffera l’intérieur. Votre cerveau, il est capable de comprendre et d’admettre ce principe de conduction. Je ne peux pas plus, pour l’instant. Dès que vous sentez un froid, trouvez une source de chaleur, quelle qu’elle soit. Compris ?

– Punaise douze heures d’opération, je n’en peux plus. Mais oui, ne bougez pas, je sais ce qu’il me faudrait comme matériel. Il faut que j’aille voir le directeur.

– Monsieur le directeur, j’ai besoin en urgence d’une imprimante cellulaire 3 D !

– Un appareil à trois cents millions d’euros, vous rêvez !

– Non, j’ai un patient avec une faille si profonde qu’une transplantation, une greffe ne marche pas. Je viens d’opérer pendant douze heures sans garantie de résultat. J’ai fait du bâtiment, pas de la chirurgie. Cette machine, elle pourrait reconstituer en profondeur couche après couche, les cellules qui manquent.

– Docteur, vous voyez mes mains, non ! c’est normal, le Ministère de la Santé me les a effacées par souci d’économie. Pas de mains, pas de possibilité de signer le moindre chèque, efficace comme méthode, non ?

– Humainement, ce n’est pas correct. Je vais exploser, car je suis épuisé. Vous êtes administrateur, moi réparateur d’humain. On laisse un patient s’en aller avec une faille et.

– Docteur, mettez un casque. Votre crâne se fissure en zébrures sombres. Vous allez détruire votre protection naturelle.

– Merci, oui, mais vous avec votre allure de pingouin sans mains, vous pensez que l’impassibilité est une réponse satisfaisante pour un chirurgien ?

– Soyez poli ! non, mais j’ai des ordres du sommet de l’État ! Au fait, votre équipe se porte bien ?

– Ne changez pas de sujet, j’ai dit « pingouin pas manchot ». Il n’y a rien de… mon équipe, merde, ne bougez pas !

Salle numéro cinq, non c’est la salle 3. Zut !

– Jenny, mon infirmière, pas besoin de vous planter des décharges. Joe lâche la cloueuse, tu n’en as pas besoin pour tenir debout. Anesthésiste, enlevez de votre veine, cette perfusion de stimulateur cardiaque. Pardon, j’ai oublié de vous libérer. Merci pour votre travail, allez dormir, à demain !

– Il vous va bien ce casque, vous devriez le gardez cette nuit au cas où !

– Merci, Jenny. Rentrer chez vous.

Alors que je suis blasé, une masse manque de me faire trébucher dans le couloir de sortie.

– Que quelqu’un vienne m’aider. Personne n’a vu ce patient allongé au sol ? Depuis combien de temps êtes-vous là ?

– Depuis la fin de mes capacités d’avancée.

– Je ne fais que des merdes. Je n’aurais pas dû vous laisser sortir. Forcément avec le poids qui est en train de se solidifier, que je suis. Je vais vous installer dans une chambre pour la nuit.

– En observation ? Vous avez un casque sur la tête, vous fissurez du crâne ?

– Oui, enfin, j’en ai marre de ce monde playmobil. J’ai un directeur sans mains qui ne peut signer un chèque pour du matériel adapté. Vous qui venez avec une faille sans être au fait de son début. Mon équipe qui se torture parce que j’ai oublié de leur dire qu’ils avaient le droit de se reposer. Et moi, qui suis en colère parce que je n’y arrive pas.

– Provisoirement, c’est un succès ! Peut-être que de l’eau avec des nutriments suffirait ?

– Oui, c’est ça, et je vous laisse une béance façon hublot de machine à laver. Je ne sais même pas quelle quantité serait bénéfique !

– Quelques gouttes d’un élixir concentré, non ?

– Élixir de quoi ? Nous ignorons tous deux ce qu’il vous manque !

– Si vous aviez cette faille, de quoi la rempliriez-vous, vous !

– Dans l’immédiat, de repos ! je vous laisse, je vais faire de même. Du repos, voilà ce qu’il me faut. Demain, mes idées seront plus claires. Bonne nuit !

Le lendemain matin.

– Bonjour Monsieur, mais, il est où ? INFIRMIÈRE !

– Docteur, votre patient est parti cette nuit. Il nous a confié un mot et ceci, pour vous !

– Comment, qui a délaissé ce patient en pleine nuit ? Trouvez-moi son adresse, envoyez une ambulance le récupérer. Comment a-t-il fait pour enlever son matériel ?

– Avec une petite cuillère. Docteur, c’est impossible. Il a signé la décharge et son adresse est confidentielle. Ce n’est pas dans vos attributions. D’autres patients vous attendent !

– Dans mes attributions ? Vous marchez tous sur la tête ou quoi ? J’ai un directeur sans mains. Des patients qui attendent, oui. Un patient avec une faille que vous laissez dans l’air du temps, en pleine nuit. Vous auriez pu m’appeler !

– Et qu’auriez-vous fait de plus que les soignants qui travaillaient ? L’attacher peut-être ?

– Oh zut, patients, patientes, Monsieur le Directeur, je démissionne, ras le bol. En plus, qu’est-ce qui lui a pris de me laisser une peluche à cet énergumène. Comme si j’avais besoin d’une peluche !

– Docteur, lisez le mot qui va avec.

« Monsieur, le Chirurgien

J’ai enlevé le matériel qui me semblait trop lourd. Cependant, j’ai revissé la plaque et au gré de mon chemin, j’emplirai moi-même la cavité, en sable, vent, chaleur, couleurs.

De ce que je trouverai et qui me plaira à l’instant de mes trouvailles.

Le problème est complexe pour vous, car j’ai vu que vous aviez créé une béance dans une peluche pour vous servir de sa peau douce. J’en ai conclu, que vous aviez également besoin de quelque chose de doux, et chaleureux. Vous me l’avez dit :

La chaleur extérieure emplira l’intérieur naturellement. En laissant le temps faire son œuvre !

J’apprendrai à être un patient , patient! Cordialement ».

Huleux le globuleux

Sur une terre verte vivait un petit personnage au ventre rebondi, qui chaque jour, derrière les nuages décrochait le soleil avec appétit.

Le jeune Marschim est né voilà trois ans dans le village de Ponicrun. Une terre cachée dans une pénombre grise.

Cette population ne grandit pas. Elle a une croissance expresse. Ainsi à son âge, Marschim sait déjà beaucoup. Sans soleil, la vie est courte. Chacun se presse de grandir, d’apprendre, de vivre simplement.

L’espérance de vie est réduite à vingt ans. Pas de vieux ridés dans le bourg de Ponicrun, qui fût jadis une terre d’exil pour tous les botuliques de la mer. Pourtant, c’est un beau paysage qui nourrit suffisamment chaque habitant. La satiété dans le noir est vite comblée. Les repas sur le pouce ne durent pas plus de cinq minutes. Tout, dans ce pays, semble contraint par le manque de luminosité. Le sommeil est similaire à la lassitude de la nuit. Long, très long, pas moins de vingt heures. Réveillé, chacun se dépêche de vivre aux premières lueurs matinales. Été comme hiver, pluie ou temps sec, les journées se répètent ainsi. Mais un petit matin, Marschim au milieu de la forêt d’acacias et de ronces sans fleurs, surprit le voleur de disque astral. Intrigué, il le suivit. Au bord du lac, le kidnappeur apprécia le globe jaune dans ses mains et l’avala aussi soudainement que son iris s’y était reflété. Et la nuit grise fut de retour.

Marschim étouffa un cri d’effroi. Stupéfait, il était. Voilà donc la raison de cette absence, pensa-t-il ! Qui est ce personnage mangeur de soleil ?

Marschim rentra dans sa demeure champignon pourrissant de trop d’humidité, il expliqua à son père ce qu’il venait de voir et surtout de saisir de cette vie en gris !

Mon fils expliqua son père, la moustache en queue-de-cochon, «

– Tu as vu le tertiaire éphémère, il se nomme Huleux le globuleux. Référence à ses yeux extériorisés qui brillent jusque sous l’éclat de la lune, telles des billes de verre, translucides. Il ne faut pas t’en approcher, il pourrait t’ingérer.

– Mais qui est-il ? Tout seul dans la forêt, comment fait-il ? Et pourquoi attraper le soleil de la nouvelle journée pour le manger ?

– C’est une légende fils. Mes aïeux m’ont raconté que c’est un des nôtres qui a trouvé un jour, une baie trampoline et l’a goûté. C’est ainsi que Huleux le globuleux est parvenu à sauter au-delà du couloir des nuages et le soleil. Au début, cela ne semblait être qu’un jeu puéril de gravité, lorsqu’un jour affamé, Huleux décida de goûter la matière du cercle solaire. Dès l’ingestion, il se sentit revigorer de forces insoupçonnées, qu’il recommença le lendemain, et depuis, il est…

– Les baies trampolines n’existent plus, irradiées par le manque d’ultra-violet pour naître. Huleux nous empêche de grandir, veut-il nous détruire, père ?

– Je ne crois pas, il est de notre communauté depuis sa naissance, sauf qu’il a découvert quelque chose qui lui permet de ne pas vieillir. Je crois que l’ingestion de l’astre l’en empêche. Si, je ne me trompe pas, il doit bien avoir cent cinquante ans Huleux. Au moins !

– Cent cinquante ans, père ! Nous vivons à peine jusqu’à vingt ans !

– Je sais fils, mais le docteur pourra mieux t’expliquer son âge, moi, et tu le sais, j’arrive au terme de ma vie. Mais, ne t’en approche pas, il est dangereux.

– Père, s’il mange le soleil, le jour où, il n’y en aura pas, mangera-t-il également la lune ?

– Je ne sais pas, c’est possible. Heureusement, chaque jour un nouveau disque jaune apparaît, même s’il pleut. Ce que nous ne voyons pas, lui le voit grâce a son pouvoir trampoline.

– Père, je m’en vais arpenter notre forêt, je trouverai son cloître et le raisonnerait. C’est une vie si courte, triste et fade, sans soleil. Je vais le retrouver, l’implorer s’il le faut, le payer, que sais-je. Je ne peux me laisser imprégner de cette vie linéaire, figée de fatalité et d’abandon. Peut-être reste-t-il un spécimen de baie trampoline en germination sous l’humus ou sous une souche centenaire. Ainsi, je pourrai lui prendre le soleil avant qu’il ne l’ingère.

– Qu’en feras-tu, mon fils ? L’ingérer comme Huleux le globuleux, pour vivre une centaine d’années et voir les tiens s’effacer dans la nuit la plus terne en horizon d’avenir !

– Non, si je parviens à le conserver, je le mettrai en sécurité dans une grotte s’il le faut !

– Dans une grotte, le vie sera identique et le soleil renaîtra chaque jour. Des cachettes, il en faudra énormément. Sois réaliste Marschim, Huleux les trouvera !

Une heure avait terminé sa course, un brouillard dense avait emporté les contours du territoire, Marschim vit son père se creuser encore en rides amères, lasses de s’articuler sur une souplesse éteinte.

Un dernier regard, Marschim avec conviction expliqua sa décision :

– Père, l’instant est idéal, Huleux va irradier dans cet amas humide. Je saurai le retrouver et négocier. Père, un rayon au moins, je t’apporterai pour que demain tu sois encore.

Et sans attendre la réponse, Marschim se dirigea au cœur de la forêt, le bruit de ses pas feutrés par la lourdeur de la brume grise. Il chercha, dans chaque coin, recoins, cavernes. Arrivé près d’un lac vaporeux, il vit un fil de lumière “oui ! Huleux est là !”, devant cet étang qui reflète difficilement sa surface.

Marschim s’approcha avec prudence, telle une chouette qui frôle l’air pour ne pas effrayer le campagnol nerveux. Il siffla un air ancien appris de son père.

Huleux se releva avec rapidité, essaya de cerner les contours du son, qu’il n’eut pas le temps de fuir, Marschim lui souffla la fin de la mélodie avant de le rassurer :

– Huleux ! n’aies crainte, je viens en ami, je voudrai juste un rayon de notre astre de vie. Mon père se meurt, accepterais-tu une fois de partager le soleil que tu emportes avec toi chaque matin dès l’aube ?

– Qui es-tu, un Ponicrunien ?

– Oui, je t’en prie, je me nomme Marschim, Huleux. S’il te manque un rayon, ce n’est rien pour une fois !

– Ce n’est rien, j’étais de Ponicrun avant d’en être banni tels une mousse putride, ou un champignon véreux. Tu es jeune, certainement as-tu entendu la légende me concernant. Je ne suis pas mauvais. Je suis aigri, les baies trampolines m’ont aidées. Curieux hasard d’interdire aux enfants de manger un tel fruit qui permet d’attraper le soleil. La première fois, la drôlerie du bond me rendit joyeux.Lorsque j’eus compris qu’au-delà du plafond bleu, je pouvais atteindre l’éclat rassurant du soleil. J’étais le plus heureux de tous les heureux, alors j’ai.

– Tu as avalé l’astre ?

– Laisse-moi terminer MON HISTOIRE. Non, je l’ai remis en place. De retour au village, il y avait un vieux tout délabré, avec du pétrin de fourmi dans la tête qui depuis mon jour de naissance me flanquait une raclée à chaque mot à l’envers que je ne savais retenir. Il m’avait vu passer au-delà du ciel alors qu’il colmater un tronc lointain, j’avais tout juste douze ans. Après m’avoir humilié devant la communauté, il me jeta un baluchon et me demanda de ne plus jamais revenir. Avant mon départ, il a fait ce qu’aucun sage ne ferait. Marqué par la douleur physique, par ma peine psychologique, ma solitude, j’ai décidé de faire taire la lumière en moi et en eux. Mes pensées sombres m’avaient rassuré sur la juste action à mener. Si, je n’étais plus des leurs, je garderai ma lumière et toutes les autres pour moi seul. Ce n’est que deux mois après mon exil que je me mis à gober l’astre et que j’en découvris les effets sur ma constitution. Un hasard, un malheur rien de plus

– Huleux, si demain de soleil, il n’y a pas, feras-tu de même avec la Lune ?

– La lune, oh non ! C’est la seule lumière qui me guide dans la nuit. La lune est une vraie sage, seule en lumière froide, elle me guide sans rien demander. Alors que le soleil éclate et brûle. Il est si fort que lorsque je l’avale, il me transforme en feu follet. Je suis obligé de l’ingérer, car il brûle chaque chose sur laquelle j’ai essayé de le poser.

– Huleux, demain un nouveau viendra. J’ai besoin d’un rayon, pas plus, le temps presse.

– Oui, le temps presse. J’ai cent cinquante ans, un chemin morne de bonds. Ma joie est d’hier, demain toujours identique, et toi qui me supplie ridiculement un rayon alors que l’astre ne peut se fractionner. Et de mon ventre, que veux-tu ressortir à part une acidité brûlante, si fade que de sens, de raison, il n’y a rien qui rejaillira. C’est un disque à lames, je ne vis pas sur ce chemin. J’irradie son énergie, si le soleil de demain je laisse au ciel, je mourrai, à cause d’un passé, non choisit ! Marschim, pour qui souhaites-tu ce rayon ?

– Mon père, il se meurt, comme tous les gens de Ponicrun. Huleux, je t’en prie, il n’a que dix-neuf ans et tant encore à m’apprendre.

– Je ne peux te le donner ainsi. Je devrais le remettre à sa place, là-haut, au-dessus de ma tête. Et je mourrai sur ce chemin d’exil où je n’ai rien trouvé qui me rassure suffisamment pour pardonner leur bêtise.

– Huleux, le pardon est dans le soleil. Tu me l’as dit, la Lune te guide dans la nuit. Le soleil fait de même, le jour. Sans lui, la vie peine. Cette brume nous colle jusqu’au cœur de nos pensées. Je ne sais qui était ce sage, mais s’il n’est plus pour lui pardonner, tu te dois de te pardonner en laissant les astres dans le berceau de leur naissance. Tu pourrais continuer ta vie sur le chemin présent et construire un autre demain plus réaliste. Autrement qu’en bonds et chapardages.

Après un long soupir de lassitude, Huleux plongea ses deux mains dans le lac, avala l’eau qui grésilla au contact de sa chaleur intérieure. Il se mit à tousser. Une quinte de toux longue et douloureuse lui fit expulser le soleil. Il s’en saisit, visa un point en hauteur, prit deux pas d’élans et disparut un court instant derrière le gris visqueux. Soudain, une ligne tomba en une pluie fine. Le ciel s’éclaircit, la brume laissa les contours de la forêt renaître. Un oiseau gazouilla, un nuage se forma, Huleux atterrit avec lourdeur sur la berge verte. Il regarda Marschim et sans mots, lui fit signe de le laisser.

Marschim repris le chemin vers son bourg, lorsqu’il se retourna pour demander à Huleux — qui était ce sage avec du pétrin de fourmi dans la tête ? —

– C’était mon père. Va faire ce qu’il faut pour le tien!

Ils se quittèrent. Huleux ne réapparut pas. Ponicrun reprit sa vie de village. Rien ne fut effacé, juste atténué. Le pardon est long chemin silencieux et solitaire.

Le semeur de roses

Ce soir-là, à vingt-trois heures vingt-trois, un homme descend la rue vers la mairie.

De ma fenêtre de la cuisine, je l’observe. Insomniaque depuis que je suis née, rien ne me dit de dormir. Ce seize décembre deux mille dix-sept, j’aperçois en premier son ombre au gré des réverbères. J’entends le chuintement de ses pas dans la première neige de l’hiver. La luminosité extérieure est vive, l’horizon dans ses larmes de Dieu continue de pleurer sa beauté. Il m’aperçoit alors que je m’apprête à m’asseoir, il me fait un signe de la main tout en me souriant. Je le vois parfaitement, tellement le blanc illumine la nuit.

Soudain, il retire son chapeau brun, l’abaisse vers son torse. Il plonge une main dans son manteau gris, semble en sortir quelque chose et le pose sur le muret de la maison en face de la mienne.

Je discerne la beauté de son visage, ses traits sont parfaits. C’est un très bel homme d’une cinquantaine d’années, me semble-t-il.

Je lui renvoie un sourire et un geste alors qu’il a déjà repris son chemin. Le nez collé à la vitre, je le regarde déambuler sur le trottoir jusqu’à la mairie puis bifurquer sur sa droite. Tout le long, sa main droite plonge dans son manteau, son bras se tend vers un mur, une boîte aux lettres, une clôture et y dépose quelque chose que je ne parviens pas à voir. Au-delà de ma capacité oculaire, il a disparu.

Trente minutes plus tard, je suis encore dans ma cuisine, j’espère le revoir. Mais, il ne revient pas. Les flocons chutent lourdement sur mes carreaux, poussés par un vent d’Est.

Cette nuit-là m’a emmené où elle souhaitait sans rêves. Fermant les yeux, son visage en miroir, je cherchais désespérément où je pouvais l’avoir déjà vu. Au petit matin, le manteau blanc extérieur n’avait pas bougé. Alors que je m’affairais au balayage de mon trottoir, j’osais aller voir sur le muret d’en face. Il n’y avait qu’un contour creusé dans la poudreuse que des tourbillons venteux avaient troublé. C’était indéfinissable.

Pendant plusieurs jours, le soir, j’espérais qu’il repasse. Au bout d’un mois de surveillance à la même heure, sans son retour, j’abandonnais.

L’année passa, avec ses joies, ses turpitudes, ses idioties. Son visage se rangea dans mon tiroir personnel, chassant sa beauté dans la pénombre de ma boîte crânienne.

Une année plus tard, je n’ai toujours pas de fonctionnement diurne. Nous sommes le seize décembre deux mille dix-huit, vingt heures et vingt-trois minutes. Je me prépare un café. Mes chats dorment du sommeil du juste depuis longtemps. Ils se doutent que le feutre blanc efface le gris de la nuit, atténuant les bruits intrigants.

La première neige a toujours ce rappel à l’enfance et son premier émerveillement magique de la nature. Sur le manteau immaculé, une ombre grandit. Les réverbères contournent les traits du promeneur dans une forme irrégulière. Je ne bouge plus, j’attends.

Il s’arrête devant le carré de lumière que projettent mes spots de cuisine sur le trottoir d’en face. Il retire son chapeau avec la main gauche, le pose sur son torse, me sourit, et plonge la main droite dans son long manteau puis tend son bras vers le muret.

Mon tiroir neuronal n’a pas besoin de chercher son souvenir. Je ne l’ai pas oublié. C’est lui ! L’homme de l’année passée. Sa beauté irradie autant que l’éclat de cette nuit. Je souris intérieurement et extérieurement.

Il reprend son chemin. Je ne peux le laisser partir ainsi. Dans un besoin irrépressible, je pose la cafetière, j’ouvre la porte d’entrée, descends les marches, tourne le verrou de la seconde. Je manque de rater les trois dernières. L’humidité de la neige emplit déjà mes pantoufles qui glissent sur le tapis aplani par mon poids.

Je le suis de loin avec une certaine appréhension. Tous les dix pas, il tend sa main et dépose quelque chose sur le muret. Je regarde le long, ne vois rien. J’hâte mes pas. J’ai besoin d’une explication.

Alors que je suis trois mètres de lui, il s’arrête, inspire profondément, baisse la tête et se retourne. Soudainement gênée, je ne sais que lui dire. Avec un grand sourire, je m’en approche. Encore une fois, il retire son chapeau, esquisse un sourire lumineux.

– Excusez-moi, Monsieur, n’étiez-vous pas sur ce même chemin l’année passée ?

– Bonsoir, Mademoiselle, oui, j’y étais. Nous nous sommes salués. Vous aviez une belle expression de sincérité sur votre visage. La peur ne semble pas exister dans votre être.

– Pardonnez ma curiosité, mais il semble que vous posez quelque chose le long des maisons de ce côté de la rue. Suis-je aveugle, je ne pas vois ce que c’est.

– C’est exact. Un toc, certainement. Non, en vérité, je pose simplement des roses !

– Des roses, mais enfin, il n’y a rien.

– Approchez-vous, je vais vous montrer !

Face à lui, il me demanda de fermer les yeux et de tendre les mains en obole. Je sentais le contact de sa peau sur la mienne. Il m’autorisa à ouvrir les yeux. Dans mes mains, une longue tige verte feuillue tenait à son bout, une rose rouge pourpre duveteuse, douce, gonflée sur sa corolle.

– Comment avez-vous fait ?

– La question est inappropriée. Ne devriez-vous pas plutôt me dire quelle belle rose ?

– Vous avez raison, je m’en excuse. Vous faites apparaître des roses, vous êtes magicien. Les autres ne se voient pas, comment ce fait-il ?

– Mademoiselle, la rose a son secret. Voyez-vous, pour celui qui est suffisamment pur pour la comprendre, elle laissera aisément ses aiguilles s’espacer pour ne pas le blesser. Pour le rustre ou la brute en sentiments, elle saura lui rappeler qu’à la vouloir d’une mauvaise manière, une douleur vive réveillera la réalité de sa matière. Quant à celui qui l’aime trop, dans son bouton, le pollen lui apprendra la raison dans une expulsion d’air involontaire. Une façon de remettre l’esprit dans le bon sens. La discrétion est dans ses feuilles, leurre d’apparence à qui ne regarde qu’à moitié. En douceur pour les cœurs lourds, elle laissera ses voluptueux pétales se faner avec la tristesse que l’on voudra bien lui confier. Je vois que vous gardez avec préciosité la fleur entre vos deux mains. C’est un signe d’attention, de bienveillance et d’amour. Vous devriez accepter de faire en retour pour vous ce que vous donnez à cette fleur. Ce serait juste.

J’étais subjuguée par sa beauté. Ses yeux verts étaient parfaitement soulignés par des cils noirs profonds. Tellement serrés que j’aurais pu croire qu’un trait d’eyes-liner accentué cette perfection. Il était grand, une veste longue nouée autour d’une taille fine, des épaules carrées, une peau lisse. Il émanait quelque chose de particulier, une énergie gracieuse. Une très belle énergie au demeurant, douce et rassurante.

– Vous posez des roses que personne ne voit, je ne comprends pas. L’année dernière, vous avez fait de même !

– C’est exact ! Un jour, une rose. Un mois, une rose. Une année, des milliers de roses. Un chemin de roses en sommes !

– Je suis perdue, quel en est le sens pour vous ?

– Il n’y a pas de sens. Il s’agit en humilité, d’un chemin fait de couleurs, de bois, d’épines, de douceurs, de longueurs, de grandeurs, de cassures, de peines, de tristesses, d’amours, d’espérances, d’absences, de présence à soi, aux autres, de dons, de pardons. De tout ce que la vie nous concocte sans que nous le choisissions. N’est-il pas exact que si je m’arrête devant votre maison, c’est que la nuit ne suffit pas à vous apaiser ?

– Je n’ai pas besoin d’être apaisée ! je vais bien. Une rose, c’est juste une.

– Juste une ? Un être de passage, sincère !

– Mais non, pas un être, une fleur !

– Un être. Avez-vous oublié la terre ouverte dans laquelle, sa couleur a accompagné l’être qui vous manque aujourd’hui ? La personne que vous avez tant soutenue, relevée, aimée, soignée, jusqu’à oublier votre être ? Ne dites rien, ce n’est qu’un chemin. Ayez confiance, demain, vous donnerez différemment, certes, mais le fond profond de votre être est inscrit ainsi sur terre. Tout comme le mien. Je fais cette route, en ce jour, pour semer de roses ma peine. Naturellement, je remonterai vers un avenir radieux.

– Comment pouvez-vous le savoir ?

– Je dois l’avouer, je suis un semeur de roses éphémères. Malheureusement, tout est compté ici bas, il faut que je hâte mon pas. Ma tâche n’est pas terminée, je dois vous laisser !

Il s’éloigna, son énergie avec. Avec insistance, je lui demandais son nom. Sans se retourner, il m’ordonna de regarder en arrière. Ce que je fis. Soudain, je vis toutes les roses posées le long des murs. Ils y en avaient des milliers, de toutes les couleurs. Des millions, jusque sur la route. Certains tas hauts s’étaient effondrés. Ma voix éteinte, les bras croisés, je cherchais au loin son apparence. Il avait disparu. Un grand froid intérieur me secoua de spasmes incontrôlables. Je voulais le suivre, le revoir alors que mes pieds gelés refusaient bouger. Je ne savais pas quel côté il avait pris. Je me décidais à rentrer, alors que les roses avaient disparu, elles aussi. Il ne restait qu’un joli manteau blanc dans la sérénité de la nuit.

Être en devenir.

Beaucoup de monstres se cachent sous le lit ou dans un placard, mais jamais les êtres malintentionnés qui envahissent la vie d’air vicié ne se chassent en ouvrant les yeux. Ce poids lourd n’est pas le vôtre.

Quelle est donc cette vie qui imagine les sinistres prêts à croquer les enfants dans leur sommeil ?

Alors que les plus obscurs sont dans la vie au ciel bleu.

Le danger est ici, à côté de vous.

Vos rêves, vos cauchemars au matin s’évanouissent, mais dans le jour qui grandit avec vous, la terreur est à l’intérieur.

Dieu est perdu dans son immensité. Il ne peut rien à la folie d’un être sombre.

Il n’y a pas de chemin blanc devant un adulte qui a oublié votre fragilité.

Votre sourire n’aide pas à faire comprendre votre préciosité au cœur dur qui ne veut que vous détruire.

Vos larmes comme arme de raison, vos pleurs comme signal extérieur.

La douleur rentrée dans un cœur qui ne saisit pas ce qui se passe. Une douleur dans la tête tuant l’horizon d’un espoir de guérison.

Les monstres sont ailleurs !

L’imaginaire les rend méchants, mais la vie au ciel bleu est la plus rude.

Le danger n’est pas dans vos rêves, il est là, devant le ciel bleu.

Recroquevillé sur une chair meurtrie, l’espoir que cela cesse enfin attendra vos années.

L’adulte ne reflète que la dureté de sa vie. Sa vengeance de ne plus être aussi faible.

Demain, le palpitant en morceau, il faudra recoller ce qui est possible dans la réalité de son être qui comprend plus.

Il faudra pardonner l’impardonnable.

Il faudra croire encore aux monstres sous le lit, dans le placard, pour ne jamais oublier que l’imaginaire a sauvé votre pensée du ciel bleu assassin.

Si l’espace d’un instant, les yeux fermés, le cœur tue la rancœur, vous entendrez les fées de vos nuits qui vous ont rassurés, soutenues jusqu’à aujourd’hui.

Il faudra oser devenir soi pour rêver en grand sa vie.

En faire un imaginaire sans heurts, sans douleurs.

Ne garder que le ciel bleu en éclat de rêves lointains.

Il faudra s’aimer sans avoir appris et choisir le chemin en couleurs, bouts de couleurs mêmes ternies.

Les enfants, n’oubliez jamais que tout change.

Les bleus noirs deviennent jaunes avec le temps.

Les larmes sèchent aux vents plus lointains.

Le cœur reprend vie dans l’air enfin choisi.

Les monstres dans le jour du ciel bleu souffriront de n’avoir pas saisi votre chemin de lumière.

Le temps n’efface pas. Il atténue le souvenir de la lourdeur du ciel bleu assombri par des êtres aussi noirs que les monstres cachés dans le placard, sous le lit.

Votre avenir les effacera. Votre chemin de vie vous montrera votre ciel bleu, en entier, beau, serein, plein de vie.