Bienvenue, dans cette biographie en cours d’élaboration. J’ai préféré commencer durant ce joli mois d’avril, car il souligne la naissance de toutes les fleurs de ma vie. Ève Lieby
Une méthode :
En partant de quelque lignes écrites de la main de Jeanne Hetzel, née Kaufman. Je tracerai une trame, des questionnements, un axe de recherche, pour arriver au récit.Un chapitre ne sera final que sous ce terme. Avant, il s’agira d’une esquisse de récit.
Les recherches vont être nombreuses, heureusement, des photos d’époques me permettront de ressentir l’indicible. La biographie sera illustrée.
Une seule personne, mon oncle, peut encore m’aider pour confirmer certains détails. Est-ce que cela pourra suffire ?
Je vous invite à la suivre dans son voyage personnel qui la conduira bien plus loin qu’elle ne pouvait l’espérer.
Biographie d’une femme de marin engagé dans la Marine Nationale. » Jeanne, dans l’ombre des vagues
Ma Grand-mère écrit :
Je suis née le seize mai dix-neuf cent quatorze à Jungholtz.Mon père s’appelait François-Xavier Kauffmann et ma mère s’appelait Caroline Montalbetti.J’avais quatre frères qui sont nés avant moi. Mes parents étaient heureux avec leurs enfants.
L’Alsace était à ce moment de nationalité Allemande.Mais en août mille- neuf cent quatorze, l’Allemangne a déclaré la guerre a la France. Mon père a dû partir à la guerre malgré les cinq enfants.
Notre village, Jungholtz, était souvent bombardé. En dix-neuf cent quinze, ma mère avec les enfants a dû partir comme réfugiée en Allemagne à Plochingen.
Ma mère a pu aller travailler chez quelqu’un, parce que nous avions notre grand-mère ( la mère de ma mère) Félicité.Elle faisait le manger pour toute la famille et elle me gardait.Les quatre frères allaient à l’école en Allemagne. Les deux plus jeunes allaient à la maternelle et les deux grands à la grande école.Nous sommes restés à Plochingen jusque en mille-neuf cent dix huit. Alors la guerre était terminée !
L’oublié
Je me nomme Jeanne Kaufmann. Je suis née durant la Première Guerre mondiale. Ma mère, Caroline était dans son corset d’une beauté naturelle qui avait séduit mon père François-Xavier Kauffmann. Ils se sont mariés à Jungholtz le vingt-sept octobre mille-neuf cent cinq.
Le seize mai mille-neuf cent quatorze, je vois le jour dans une fratrie comprenant quatre garçons.
Voilà! j’étais l’unique fille.
La fierté de mon père qui tout ému, courra à la mairie de Jungholtz, déclarer ma naissance et me donna le prénom de Jeanne. Il était tellement heureux que lorsqu’il prit l’acte de naissance, il ne fit pas attention à ce que le préposé eût écrit.
Des milliers de fois, la question fut soulevée : « Pourquoi le nom de ton père et de tes frères s’écrit-il avec deux F ? Alors que tu n’en as qu’un ! » C’est vrai ! je répondais avec assurance que le deuxième était « l’oublié ! »
La mobilisation nationale n’a eu lieu que quelques mois plus tard, mais déjà l’ombre de la guerre planait. La mairie de Jungholtz était petite comme le bourg. Mon père a bien voulu faire rectifier l’erreur, mais il était trop tard. Il fut appelé malgré sa charge familiale sous le drapeau Français, suite à l’ordre de mobilisation générale du premier août mille-neuf cent quatorze.
Le lien bleu vous permet de consulter l’intégralité du document qui était placardé par les autorités de tutelles.
Août 1914, la mobilisation générale
Sur le cliché dos à l’arbre, ce sont mes frères, Paul, Louis, Charles et Henri. Je suis sur les genoux de ma maman, Caroline. C’était en mille-neuf cent quatorze. J’avais quelques mois.
Ma grand-mère Félicité avec son corset très, très serré pose avec mon oncle, Paul.
La photo, en haut à gauche, date de mille-neuf cent seize, j’ai deux ans. Nous étions réfugiés en Allemagne à Plochingen.
Ma vue baisse ! il faut que je prenne une loupe pour discerner les détails. Je porte un joli tablier blanc, avec un ruban dans les cheveux. Je suis toujours étonnée de voir la qualité des tirages de l’époque. Ils ont plus de cent ans, et tant voyagé. Pourtant, ils n’ont pas oublié mon relief de petite fille avec un F à son nom de famille.
L’oublié est devenu, je le crois, ma volonté de ne jamais l’être.
Séquence 15 : Le port de Casa bombardé par les Alliés, le devoir d’un marin et d’une femme de marin est simple : résister.
Contenu : Ce 8 novembre 1942, Jeanne est réveillée par le bruit des bombes qui sont larguées sur Casa. Charles comprend que Casablanca est attaqué. Il quitte sa famille pour rejoindre le torpilleur Tempête à six kilomètres. Jusqu’au 10 novembre 1942, les obus explosent sur le port. Jeanne avec courage va s’enquérir de la situation auprès des voisines du quartier de l’Oasis. En ce dimanche après-midi, sa fille Jacqueline âgée de six ans est effrayée par l’arrivée d’une momie. Jeanne doit tenir, elle envisage toutes les possibilités. Charles rentre le 10 novembre, il lui raconte ces trois jours d’enfer et sa colère que le discours sur radio Londres de Churchill ne va pas apaiser. Jeanne est heureuse de le retrouver en vie. Cela suffit à son bonheur de l’instant.
Justification : Démontrer la force intérieure de Jeanne qui ne dévoile rien de ses angoisses, psychologiquement attachée à Dieu et au bonheur de retrouver Charles, son mari.
Registre: Polémique
Quartier Beau-Séjour, Casablanca, le huit novembre dix-neuf cent quarante-deux.
Opération Torch
Un sifflement, un vrombissement, je pense être en train de rêver lorsque Charles saute du lit précipitamment.
– Merde, c’est une attaque aérienne !
– Jacqueline a entendu et nous rejoint en pleurs
– Mon mari enfile sa tenue, vise son péchie et court à l’extérieur prendre son vélo.
Il a juste le temps de me dire « trouve une maison avec une cave pour vous protéger ». Désormais, le bruit des avions est continu. Juste avant que le portail ne claque et qu’il disparaisse, il me crie, « Madame Sautere, Jeanne Sautere, cave ! »
Jacqueline se tient à ma jambe terrorisée par le bruit des explosions, je n’ai le temps que de lui murmurer « Fuir ! » Je demande à ma fille de se calmer, alors que je ne sais plus ce que je peux faire. « Sortir avec Jacqueline et risquer nos vies ? « Il est huit heures trente, le bruit des canons, des bombes, des obus, des torpilles est incessant. Il faut que je sache, j’ose ouvrir la porte, alors qu’un avion se dirige à basse altitude vers l’escadre française accosté le long du port. Des volutes noires, épaisses s’envolent vers le ciel azur de ce dimanche matin. J’en ai assez vu, je ferme la porte en pensant « quelle sale guerre ! »
Pour occuper Jacqueline après le petit-déjeuner, je lui propose un jeu, monter faire nos valises.
– Jacqueline, tu es grande, je te sors ta petite valise et tu la remplie de ce que tu préfères comme habits, sans oublier ta poupée . Mais, elle doit pouvoir se fermer sans difficulté. Maman va faire pareil, et nous verrons qui est la plus rapide !
Ses boucles blondes tracent une lame d’air imperceptible en direction de sa chambre. Elle ouvre le placard, sort les vêtements et à voix haute choisis : « oui, non, s’il fait chaud, pour dormir ! »
Je sors ma valise noire en cuir, acheté lors de mon départ de Jungholz. Je ne me presse pas, alors que le nombre d’avions survolant le centre-ville semble s’accroître. Charles est là-bas, sous le feu de la guerre. Instinctivement dans ma robe, je sors mon chapelet et demande grâce à Dieu, tout en lui demandant de me rendre mon époux, sain et sauf.
– Maman, on doit partir. J’ai terminé !
–Non, Jacqueline pas tout de suite, en attendant pose-la sur ton lit, et on va faire un gâteau et chanter la dernière comptine que tu as apprise à l’école.
Alors que Jacqueline malaxe la pâte, un joli tablier blanc noué autour de sa robe bleue, des bruits résonnent à l’arrière de la maison.
En ouvrant, je découvre, madame Rauteg notre propriétaire, le regard fixe, le visage crispé de peur. Je la tire par le bras pour la faire entrer.
– Mon dieu, quel risque avez-vous pris, avec ce qui se passe !
– Madame Hetzel, je voulais m’assurer que vous alliez bien, vous et votre fille ! Mon mari est également parti sur son bâtiment, il n’y a plus que des femmes dans le quartier. S’ils décident d’attaquer la ville, Madame Sautere est la seule à posséder une cave. Jeanne, Madame Lictenberg sait conduire, son conjoint lui a appris. S’il faut fuir, la voiture est la meilleure solution !
– Madame Rauteg, savez-vous quelque chose sur l’attaque, est-ce une offensive allemande ? La voiture est un point facile à cibler depuis un avion, je ne m’y risquerai pas avec une enfant. Je sais, il me semble que oui, la radio ! Je n’ai pas de radio, peut-être que des informations circulent sur les ondes !
– Qui a une radio ? La famille Bergmann, je crois. Restez là, je vais y aller. Je vous tiens au courant !
Soudainement, j’admire la loyauté de cette femme. Elle s’est maquillée malgré le chaos. Je la raccompagne alors que son regard pointe le ciel avec angoisse. Jacqueline m’appelle :
– Maman, j’ai terminé, on cuit le gâteau ?
« Cuire le gâteau ! voilà une chose à laquelle je n’ai pas pensé. Si je mets le fourneau en route, même problème que la voiture. La fumée donnera un endroit à cibler.
– Plus tard, on va mettre le récipient dans le garde-manger. La pâte sera reposée. Je vais faire les devoirs d’école avec toi.
Intérieurement, je me contenais, mais j’étais pétrifiée par les coups sourds et réguliers des explosions. Pour ma fille, je devais rester forte, ne rien montrer. Pour Charles également.
Alors que j’attendais madame Rauteg, vers quatorze heures, on frappe à ma porte. Jacqueline me devance. Je l’entends crier. Elle se réfugie dans ma robe noire à fleurs blanches. Dans le bâti dormant, une ombre se tient droite, immobile. Les rayons qui la transpercent lui donnent un air terrifiant.
Ma fille marmonne “Une momie”. D’effroi, la main sur la bouche pour étouffer mon cri, j’avance vers l’entrée. La momie parle :
– Madame Hetzel ! Jeanne, c’est moi, le timonier Tavernier Jean !
Rassurée, je m’approche. Je souffre pour et avec lui. Les bandages autour de son crâne lui donnent un aspect de revenant. Le contour de ses yeux souligne la peau brûlée de ses joues. Les sourcils et les cils absents rendent son regard bleu bien sombre malgré la clarté de cette journée. Son uniforme bleu est délabré, fumant encore par endroit, me semble-t-il. Il passe le dos de sa main noircie sur son front. Un lambeau de chair se sépare laissant apparaître la brûlure profonde, violacée. Il empeste le mazout. Il ne reste plus qu’une moitié de pompon rouge sur son béret. Des effluves de peau carbonisée et de pétrole parviennent à mon odorat.
– Jean, que faites-vous là ?
– Votre mari Charles m’a demandé de vous avertir qu’il ne peut rentrer, qu’il n’est pas blessé. En tant que chef mécanicien, il a pour ordre de manœuvrer afin de sauver le torpilleur Tempête, Madame !
– Pas blessé, Dieu vous garde. Vous avez subi des pertes ? Qui nous attaque ainsi ?
– Oui madame, sept marins ont péri dans la frappe. Un incendie s’est déclaré sur le bateau. Les Américains et les Anglais, d’après L’ Amiral Prache. Un message codé sous le nom d’opération “Torch” a été intercepté juste avant le début de l’invasion. Ils ont débarqué de Saïd et du Maroc. Ils veulent notre allégeance à l’Empire britannique. Il faut que j’y retourne, Madame !
“Les Américains, les Anglais bombardent nos bateaux, pourquoi ? Ils tuent nos braves marins, alors qu’il pourrait s’allier à nous, Français ! ils pensent que nous avons pactisé avec le diable allemand. Mais ici, nous sommes souverains, c’est la France qui est sur ses terres. Le gouvernement de Vichy est à Paris. Dieu, je te conjure de faire en sorte que Charles revienne sain et sauf !
Ma fille est intenable, agitée. Sur le balcon, elle regarde les avions larguer leur bombe sur les navires accostés au port de Casablanca.
Là, loin sur la mer, des canons tirent et tirent encore, vers l’armada française. Les éclats de feu se confondent avec le soleil qui irradie les vagues de la Méditerranée. Ils attaquent de tous les côtés. Par voie maritime, par air. Sur ma droite, des blindés, dont le cliquetis des chenilles sont à peine couverts par l’explosion des pavillons. C’est une vision qui m’horrifie. Ma peur, je la sens plus que je ne l’entends, sous le bruit assourdissant de la guerre qui rugit à six kilomètres d’ici.
Enfin, vers dix-huit heures, les tirs et largages se sont estompés. Je n’ai pas dormi de la nuit. J’ai pensé qu’il était arrivé malheur à Madame Rauteg. Elle n’a pu me rejoindre que le lundi après-midi avec le quotidien ‘Le petit Marocain’ qui relatait l’attaque des alliés contre la Marine française.
J’ai fait les cent pas durant trois nuits. La journée, je guettais le retour de mon mari, j’essayais d’occuper ma fille tout en échafaudant toutes sortes de fuites. Et surtout, comment prévenir Charles de notre destination ? Rentrer en France, comment ? L’assaut était généralisé. Aucune échappatoire, les blindés quadrillaient le quartier. La mer était un champ de feu noir. L’azur, une multitude d’oiseaux explosifs. Coupé du monde, nous étions !
Le 10 novembre vers 11 heures, les bombardements et survols de Casa ont cessé.
J’ai pris Jacqueline avec et en courant nous sommes allés voir madame Bergmann, espérant naïvement que la radio annoncerait le nom des marins morts ou du nom des navires coulés. Elle n’était pas chez elle. Au retour, les voisins du quartier commençaient à sortir dans la rue, encore méfiants. La plupart aller en direction du Port Lyautey. Avec Ma fille, non, ce n’était pas un spectacle pour une enfant. ‘Jacqueline, dépêche-toi ! si papa revient et que nous ne sommes pas là, il va nous chercher !’
De retour, je prépare le repas, lorsqu’un éclair de lumière pénètre sur le sol de la cuisine. Je sursaute, une ombre s’approche, je lâche la cuillère :
– Charles ! Mon Dieu, tu es blessé ?
– Non, c’est le sang de mes camarades. Jeanne, je ne reste que pour changer de tenue et me rafraîchir. Nous avons capitulé devant ses traîtres qui se disent nos Alliés et nous attaquent sans crier gare !
– Papa, tu es tout sale, tu as réparé le bateau ?
– Oui, Jacqueline, ne me touche pas avec ta jolie robe blanche, je te fais une bise après mettre laver. Tu as était sage avec maman ?
Sans attendre sa réponse, Charles se rend dans la salle d’eau, pour se laver. J’avais besoin de comprendre pourquoi son regard était aussi sombre.
– qu’est-ce qui s’est passé, Charles !
– Jeanne, une hécatombe de valeureux marins, voilà ce qui s’est passé ! Un obus est tombé place de France, alors que j’allais au port. J’ai été éjecté du vélo, j’ai couru aussi vite que je pouvais. Sur le port, c’était un déchaînement de feux de tous les côtés. J’ai réussi à prendre un canot pour monter sur le navire qui était touché. Des voies d’eau, l’équipage de quart, tous mort ! Jeanne, trente marins français ! Mon officier Kelman, coupé en deux. Jacques, la nouvelle recrue, décapité. Jeanne c’était un cauchemar. Qui va annoncer aux familles les décès ? Et mort pour quoi ? Pour la France ? Tuer par des Anglais ou des Américains, alors que le gouvernement de Vichy est à Paris. Ils croit quoi, tous les gouvernants ? Que les marins se rendront le canon baissé aux Allemands ou quelque nations autres que ce soit !
Je ne pouvais que l’écouter, il était encore dans l’action. Je lui fis part des nouvelles que j’avais eues par madame Rauteg et Charles explosa :
–Noguès, Churchill, Darlan, des faibles qui ne connaissent pas les valeurs de la Marine française. Des incultes planqués dans des bureaux capitonnés pour ne pas entendre les cris des morts aux combats. Jeanne, ils sont dingues, malades. Tout marin sait et apprend que s’il est fait prisonnier, jamais, tu m’entends, jamais, il ne laissera son navire à l’ennemi, jamais ! Plutôt le détruire. Tu devrais voir tous les corps qui flottent. La mer est rouge de sang, noire de colère. Et maintenant nous sommes sous les ordres des Britanniques et des Américains. Mais, ils nous laissent le choix, trop généreux ! Soit nous rentrons en France, soit nous nous rallions à eux. Depuis le début de la guerre, les marins sont unanimes sur un point, jamais ils ne laisseront quelques matériels aux Allemands, mais ça en hauts lieux, ils ne peuvent comprendre. Ils règlent leurs suprématies en trahissant leurs alliés depuis toujours. Si j’en avais un seul sous la main, je !
– Charles, tu es en vie, c’est tout ce qui compte pour moi et pour ta fille !
Il se retourne, je vois ses yeux reprendre leur couleur naturelle. Il s’essuie et m’embrasse. Je le serre aussi fort que je peux et lui chuchote ‘trois jours d’enfer pour toi, pour nous, et nous sommes réunis. Charles, Dieu veille sur nous !’
– Tu as raison, Jeanne. Il faut que j’y retourne.
Charles s’arrête devant Jacqueline l’embrasse, lui dit qu’il va revenir très vite, et quitte la maison. Je le regarde s’effacer, dans l’ombre de la porte qui se ferme. Même en colère, il reste mon mari affectueux et attentionné.