Soporifiques cailloux blancs


Soporifiques cailloux blancs

Il était une fois, un garçon âgé de dix ans, cadet d’une fratrie de 3 paires de jumeaux, si frêle, qu’il fut surnommé le Petit Poucet. Ses yeux bleus et sa tête blonde ne tranchaient pas de celle de ses frères. Mais tous ses vêtements semblaient trop grands. Ce qui obligeait sa mère à retourner le bas du pantalon, pas moins de trois fois. Son père, Lucien, pharmacien du bourg avait les rides creusées de soucis alors que sa mère, Julie, les cheveux ternis de gris, semblait d’un âge plus avancé. Leur avenir était assombri car l’affaire périclitait. La sécurité sociale n’existait plus. Les clients rechignaient à dépenser pour se soigner. Le Petit Poucet bien qu’invisible aux yeux des autres percevait la gravité de la situation. Un soir, pour s’enquérir de la réalité, il colla son oreille derrière la porte de ses parents. Il ouït son père énoncer à sa femme sa motivation d’abandonner sa progéniture dans la forêt d’Entre-les-mondes. Bien que désemparée, elle acquiesça entre deux sanglots.

Le Petit Poucet descendit dans l’officine et prit plusieurs boîtes. Il déblistèra les comprimés qu’il cacha dans ses poches de pantalon. Le lendemain, le jour encore éteint, les parents vinrent réveiller les enfants, prétextant la nécessité de chercher des champignons pour créer des pommades médicinales.

Ils les conduisirent au cœur de la forêt. L’endroit était sombre. Aux pieds des chênes, les enfants cherchaient les chapeaux bruns, sans se rendre compte que leurs parents discrètement s’éloignaient. Le Petit Poucet tout heureux pensant tenir un besoin pour son père vit deux ombres s’évaporer entre deux troncs serrés.

Ses frères appelèrent en vain. Ils étaient désormais livrés à eux-mêmes.  En cercle, assis sur une souche morte qui sentait l’humus. La nuit tomba bien vite et les branches agitées par le vent semblaient vouloir les attraper. La lune au-dessus de la cime éclatait sa lumière sur les lacs alentour. Des lames lumineuses perçaient les ombres dansantes. Il leur expliqua qu’il avait semé des repères, le long du chemin. Rassurés, ils calmèrent leurs reniflements larmoyants.

Lorsque la chouette tut son hululement, le Petit Poucet comprit que le jour était levé. Il demanda à chacun de chercher les petits cailloux blancs sur le sol. Il leur montra ce qu’ils devaient trouver. Le premier indiquait le début du retour vers la maison, alors que quelques mètres plus loin, c’est une buse endormie sur le dos, les ailes déployées en croix, les yeux légèrement ouverts qui se trouvait. Ils continuèrent. Le grand frère, le plus blond de tous criait entre deux troncs qu’un renard semblait évanoui. Ils’approchèrent et dans un signe de négation, il dit » Non, il dort ! « Plus loin, c’est un ours brun couché sur le flanc qui sur sa truffe humide secouait une feuille de chêne qui s’y était collée. Les babines clapotant l’humidité de sa gueule endormie.

Tous les arbres semblaient identiques. L’épuisement vint bien vite. Les souches hautes, les ronces et les racines ralentissaient leur marche. Lorsqu’un tremblement de terre les fit sursauter. Un second puis un autre. Ils savaient qu’Entre-les-mondes abritait depuis la nuit des temps, un ogre qui de son flair savait où trouver de la chair fraîche.

Ils se mirent à courir, affolés, mais l’endroit était traître. Un tomba dans un lac, le second suivit. Alors qu’il sentait l’ombre toute proche, le Petit Poucet plongea à son tour. Ils nagèrent jusqu’au milieu de l’étendue d’eau. Sept têtes blondes dépassaient de la surface verdâtre entourées de nénuphars où quelques grenouilles impassibles coassaient.

L’ogre au bord les observait, il mit les deux pieds dans l’eau. Sa masse créa un tsunami si grand que les enfants furent un instant submergés. Cherchant son air, le Petit Poucet vit des truites remonter des profondeurs, puis flotter sur le côté en remuant leurs branchies. Il comprit que les comprimés s’étaient dissous dans l’eau. Il cria à ses frères de prendre une grande goulée d’air et de plonger, alors que l’ogre commença à nager vers son déjeuner. Les sept champs de blé disparurent alors qu’un voile limoneux remontait à la surface, les cachant mieux encore.

La masse du géant fit fuir les batraciens. Sa brasse maladroite, il fut si vite épuisé de son effort, qu’il perdit son souffle jusqu’à en boire la tasse, toussant de l’eau et des poissons, tout en même temps, mais d’air, il n’avait plus.

Dépité, il retourna sur la berge. Il s’assit, les pieds trempant dans la boue. Soudainement, ses paupières tombèrent sur ses yeux verts, son corps s’effondra en arrière. Sept têtes réapparurent et regardèrent en direction de l’ogre inerte.

Le Petit Poucet regagna le bord, et, fit signe que le danger était écarté. Tous observèrent l’ogre qui ronflait tels mille bûcherons à pied d’œuvre. Les volatiles, insectes et souriceaux avaient fui devant un tel vacarme. Le Petit Poucet trouva un reliquat de somnifères transformé en pâte blanche au fond de ses poches. Il comprit que tous ceux qui en avaient mangé, avalés ou bus, étaient pris d’un sommeil irrépressible.

Tous voulaient rentrer mais ne savaient comment. Le Petit Poucet se rappela une légende contée par les anciens du bourg. Elle disait que le cercle jaune du mangeur d’enfants permettrait à quiconque de retrouver sa terre de naissance. En voyant l’annulaire de l’ogre paré d’une bague vermeille, il comprit que la réponse était sous ses yeux. Avec prudence, il saisit l’énorme main en retira l’anneau, le tourna entre ses mains. A l’intérieur, quelque chose était gravé et à haute voix, il lut : “Arbre rouge, né de ta terre !”

En silence, chacun scruta les arbres, lorsque le feuillage rougeoyant attira son regard. “Là, mes frères, les feuilles sont rouges !” Dans les veines du bois, une crevasse distincte était visible. Il y inséra la bague. Une porte s’ouvrit dans le tronc. Ils s’y engouffrèrent l’un après l’autre.

Les parents rongés de remords, n’avaient point dormi de la nuit. Ils s’évanouirent de bonheur en les voyant de retour.

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