Impatient


Chronique de l’hôpital 2023 !

– Alors qu’est-ce que l’on a aujourd’hui ? Enlevez le champ opératoire, s’il vous plaît. Ben merde alors, qu’est-ce que c’est ce truc. On dirait la faille de San Francisco. Pince s’il vous plaît. Éclairez-moi le fond, que je puisse estimer la matière nécessaire. Oh ! les bords sont friables, un fil de surjet. Il faut que j’estime la profondeur de ce truc. C’est un gouffre. Qui a programmé cette intervention sans rien prévoir ? Anesthésiste, réveillez le patient, il faut que je l’interroge !

– En pleine opération ?

– Oui, si cette personne est là et qu’elle a pu s’allonger sur la table, c’est qu’elle doit avoir des réponses qui pourraient expliquer cette faille. Réveillez-la ! Ouate, encore, encore, encore, compresses. Plus. Comment combler ce truc ? Ça suinte un liquide visqueux !

– Chef, le patient se réveille !

– Monsieur, vous êtes en cours d’opération, ne vous affolez pas. J’ai besoin de comprendre depuis quand est apparue cette béance abyssale !

– Longtemps !

– Vous niez la question, depuis combien de temps ?

– Je ne sais pas !

– Si je retire le rembourrage, est-ce douloureux ?

– Non, je ne sens rien.

– Je vous trifouille allègrement et vous restez stoïque, bien. On peut donc se passer de l’anesthésie. Infirmière, donnez-moi du sérum physiologique. Je vais estimer la profondeur par le nombre de litres qui y rentre. Poche de cinq litres, merci. Monsieur, si vous ressentez une légère sensation, dites-le-moi. À combien sommes-nous ? Vingt litres ! Je ne vois pas le reflet de l’eau. Rien ne coule en dessous. Et vous, toujours rien ?

– Evidemment que non. Mais, où est votre cœur ? Vous êtes en train de vous auto-digérer, semble-t-il ! Quarante litres. On arrête là. Aspiration. Pince. Je vais nettoyer les bords et enlever les petits cailloux. Je pourrai les amalgamer pour recréer une masse cohérente. On va faire du bâtiment aujourd’hui. Allez me chercher du plâtre. Voilà dans un seau, les cailloux, touillez, malaxez bien. C’est d’un bon mortier dont j’ai besoin. Je remplis votre cavité. Vous ne sentez rien lorsque je racle le bord ?

– Non !

– Comment faites-vous pour tenir debout, alors ?

– Le cerveau !

– Bien sûr, alors je vais couper deux connexions pour le fil rouge et le bleu. Scalpel. Je coupe les nerfs de la nuque. Fils électriques. Je les raccorde pour les placer au centre de votre béance. Je pourrai vous faire un maillage avec un conducteur électrique. Pour vous, qu’est-ce qui manque le plus, hormis cette absence flagrante ?

– La chaleur !

– Infirmière, je sais ! chercher des gels-pack placés-les dans le micro-ondes, cinq minutes à mille watts. Le plâtre s’effondre, forcément. Aspiration, nom de Zeus, rien ne tient. Appelez l’électricien. J’ai besoin de son avis.

– Monsieur, je ne suis pas équipé pour entrer en salle d’opération !

– Joe, c’est une urgence. Peux-tu me faire une connexion électrique à partir des nerfs cérébraux, qu’on fichera dans le gel avec du physio en se servant de l’eau comme conducteur d’électricité ?

– Je peux, mais à mon humble avis, une greffe d’uranium serait plus efficace.

– Je n’ai pas de greffe de ce style-là, c’est une béance trop importante, profonde. Il faut essayer de redonner un rythme au centre. Peut-être que l’activité électrique réanimera les tissus profonds pour qu’ils cicatrisent d’eux-mêmes. Fais-moi un maillage genre toile d’araignée, pour la soutenance du gel pack.

– Un circuit fermé alors. Essayons, je vais voir ce que j’ai à l’atelier !

– Pommade ! Je vous tartine les bords supérieurs. La cicatrisation sera plus douce normalement. Joe, tu peux raccorder les nerfs avec les fils. Test ! infirmière, placez les électrodes sur les gels pour voir s’il y a une activité quelconque. Vous ne sentez rien de rien, vraiment ?

– Ce que je sens ? Un vide, c’est tout !

– Vous m’étonnez, ce n’est pas un vide, c’est… je n’ai pas de mots !

– Chef, électrodes en place, j’allume le moniteur. Il y a un tracé faible, mais présent.

– Attendons un peu. Vous sentez quelque chose ?

– Non !

– C’est votre cerveau qui parle là ! Je vous demande si vous ressentez dans votre vide, l’activité électrique qui passe.

– Je sens un nœud froid en surface, je crois !

– Vous croyez, c’est déjà ça. Infirmière, les gels pack ne sont pas assez chauds. Vous me les apportez avec une température de quarante-cinq degrés, pas en dessous. Je veux voir si mon patient ressent la chaleur induite. Joe, une idée pour refermer et protéger la surface :

– Une tôle en fer vissée, pourquoi pas !

– Et l’activité électrique partira en surface. Si lui ne sent rien, les autres risquent de prendre un coup de jus sévère. Je pensais plutôt à une plaque en fibre de carbone. Ça isolerait et protégerait dans le même temps. Est-ce que tu pourrais me la faire sur mesure pour maintenant ?

– Pour couvrir l’extérieur, oui. J’ai mon mètre. Une ou deux mesures, c’est que c’est un sacré placard à fermer…

– Infirmière, le tracé, s’il vous plaît ?

– Faible, mais présent.

– Joe, aurais-tu une batterie avec pile au lithium en stock ? Je crois que ça aiderait à l’augmentation de l’activité électrique de ce rien ! Bien, les gels pack sont en place. Punaise, les bords sont sacrément instables, aspiration. Cherchez-moi du ciment. Une couche de ciment pour solidifier les bords. Une couche de pommade pour favoriser la cicatrisation de l’intérieur vers l’extérieur. Le branchement avec source de chaleur intégrée. La batterie, je vais vous la placer en plein milieu du dispositif, en espérant que ça n’explose pas. Si, je mets ma main dedans. Rien ? La chaleur ? Non plus, soit ! Anesthésiste, endormez le patient, c’est plus prudent… Infirmière, toutes les minutes, donnez-moi le nombre d’ampères qui circulent. Une batterie avec 1,5 V pile bouton, ça prendra le relais en cas de défaillance. Parfait ! Joe, à toi de connecter les bons fils avec la batterie.

– Chef, l’activité augmente, c’est rapide, bien pulsé, régulier !

– Dix minutes de contrôle et je referme. Ok, plaque, visseuse, réveillez-le.. Comment vous sentez vous ?

– J’ai une barre sur la côte !

– Quelle côte, vous n’avez pas de côte à cet endroit. Bon, asseyez-vous !

– Oh, là ça ne va pas ! du tout, du tout ! J’ai, une masse trop lourde sur l’estomac !

– Merde, mais oui, le ciment en prise rapide, il faut renforcer la structure pendant la prise du ciment. Allongez le patient, visseuse. Joe, sais-tu faire des étaies en bois, comme pour une charpente ?

– Combien ?

– Autant que nécessaire. Il me faut également une gaine pour protéger les fils électriques. Je recommence. Perceuse, visseuse, connexions, activité ?

– Correct, mesure à zéro virgule sept volts/secondes.

– Vis, plaque. Activité électrique ? Infirmière apportez moi une grande peluche de pédiatrie. Bon, maintenant ? Une sensation, quelque chose de cohérent dans la perception de votre cerveau ?

– Non, je sens un point qui court le long de la plaque.

– Ciseau, s’il vous plaît ! vous préférez la colle ou les agrafes ?

– Je n’en sais rien !

– Une brûlure lancinante ou une douleur courte ?

– Comme bon vous semble, je ne sens rien !

– Je vous explique. La peluche que je viens d’évider, je vais coller sa matière sur la plaque, pour que vous n’ayez pas cette sensation de froid au toucher. Rentrez chez vous, je vous revois dans un mois. Si, vous avez un nœud à l’intérieur ou une sensation particulière, placez votre main sur la texture de la plaque. Si c’est chaud à l’extérieur, ça réchauffera l’intérieur. Votre cerveau, il est capable de comprendre et d’admettre ce principe de conduction. Je ne peux pas plus, pour l’instant. Dès que vous sentez un froid, trouvez une source de chaleur, quelle qu’elle soit. Compris ?

– Punaise douze heures d’opération, je n’en peux plus. Mais oui, ne bougez pas, je sais ce qu’il me faudrait comme matériel. Il faut que j’aille voir le directeur.

– Monsieur le directeur, j’ai besoin en urgence d’une imprimante cellulaire 3 D !

– Un appareil à trois cents millions d’euros, vous rêvez !

– Non, j’ai un patient avec une faille si profonde qu’une transplantation, une greffe ne marche pas. Je viens d’opérer pendant douze heures sans garantie de résultat. J’ai fait du bâtiment, pas de la chirurgie. Cette machine, elle pourrait reconstituer en profondeur couche après couche, les cellules qui manquent.

– Docteur, vous voyez mes mains, non ! c’est normal, le Ministère de la Santé me les a effacées par souci d’économie. Pas de mains, pas de possibilité de signer le moindre chèque, efficace comme méthode, non ?

– Humainement, ce n’est pas correct. Je vais exploser, car je suis épuisé. Vous êtes administrateur, moi réparateur d’humain. On laisse un patient s’en aller avec une faille et.

– Docteur, mettez un casque. Votre crâne se fissure en zébrures sombres. Vous allez détruire votre protection naturelle.

– Merci, oui, mais vous avec votre allure de pingouin sans mains, vous pensez que l’impassibilité est une réponse satisfaisante pour un chirurgien ?

– Soyez poli ! non, mais j’ai des ordres du sommet de l’État ! Au fait, votre équipe se porte bien ?

– Ne changez pas de sujet, j’ai dit « pingouin pas manchot ». Il n’y a rien de… mon équipe, merde, ne bougez pas !

Salle numéro cinq, non c’est la salle 3. Zut !

– Jenny, mon infirmière, pas besoin de vous planter des décharges. Joe lâche la cloueuse, tu n’en as pas besoin pour tenir debout. Anesthésiste, enlevez de votre veine, cette perfusion de stimulateur cardiaque. Pardon, j’ai oublié de vous libérer. Merci pour votre travail, allez dormir, à demain !

– Il vous va bien ce casque, vous devriez le gardez cette nuit au cas où !

– Merci, Jenny. Rentrer chez vous.

Alors que je suis blasé, une masse manque de me faire trébucher dans le couloir de sortie.

– Que quelqu’un vienne m’aider. Personne n’a vu ce patient allongé au sol ? Depuis combien de temps êtes-vous là ?

– Depuis la fin de mes capacités d’avancée.

– Je ne fais que des merdes. Je n’aurais pas dû vous laisser sortir. Forcément avec le poids qui est en train de se solidifier, que je suis. Je vais vous installer dans une chambre pour la nuit.

– En observation ? Vous avez un casque sur la tête, vous fissurez du crâne ?

– Oui, enfin, j’en ai marre de ce monde playmobil. J’ai un directeur sans mains qui ne peut signer un chèque pour du matériel adapté. Vous qui venez avec une faille sans être au fait de son début. Mon équipe qui se torture parce que j’ai oublié de leur dire qu’ils avaient le droit de se reposer. Et moi, qui suis en colère parce que je n’y arrive pas.

– Provisoirement, c’est un succès ! Peut-être que de l’eau avec des nutriments suffirait ?

– Oui, c’est ça, et je vous laisse une béance façon hublot de machine à laver. Je ne sais même pas quelle quantité serait bénéfique !

– Quelques gouttes d’un élixir concentré, non ?

– Élixir de quoi ? Nous ignorons tous deux ce qu’il vous manque !

– Si vous aviez cette faille, de quoi la rempliriez-vous, vous !

– Dans l’immédiat, de repos ! je vous laisse, je vais faire de même. Du repos, voilà ce qu’il me faut. Demain, mes idées seront plus claires. Bonne nuit !

Le lendemain matin.

– Bonjour Monsieur, mais, il est où ? INFIRMIÈRE !

– Docteur, votre patient est parti cette nuit. Il nous a confié un mot et ceci, pour vous !

– Comment, qui a délaissé ce patient en pleine nuit ? Trouvez-moi son adresse, envoyez une ambulance le récupérer. Comment a-t-il fait pour enlever son matériel ?

– Avec une petite cuillère. Docteur, c’est impossible. Il a signé la décharge et son adresse est confidentielle. Ce n’est pas dans vos attributions. D’autres patients vous attendent !

– Dans mes attributions ? Vous marchez tous sur la tête ou quoi ? J’ai un directeur sans mains. Des patients qui attendent, oui. Un patient avec une faille que vous laissez dans l’air du temps, en pleine nuit. Vous auriez pu m’appeler !

– Et qu’auriez-vous fait de plus que les soignants qui travaillaient ? L’attacher peut-être ?

– Oh zut, patients, patientes, Monsieur le Directeur, je démissionne, ras le bol. En plus, qu’est-ce qui lui a pris de me laisser une peluche à cet énergumène. Comme si j’avais besoin d’une peluche !

– Docteur, lisez le mot qui va avec.

« Monsieur, le Chirurgien

J’ai enlevé le matériel qui me semblait trop lourd. Cependant, j’ai revissé la plaque et au gré de mon chemin, j’emplirai moi-même la cavité, en sable, vent, chaleur, couleurs.

De ce que je trouverai et qui me plaira à l’instant de mes trouvailles.

Le problème est complexe pour vous, car j’ai vu que vous aviez créé une béance dans une peluche pour vous servir de sa peau douce. J’en ai conclu, que vous aviez également besoin de quelque chose de doux, et chaleureux. Vous me l’avez dit :

La chaleur extérieure emplira l’intérieur naturellement. En laissant le temps faire son œuvre !

J’apprendrai à être un patient , patient! Cordialement ».

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :